Puisque le lieu-dit "Droixhe" est fréquemment cité dans cet article, il est opportun d'en rapporter l'étymologie. Selon Théodore GOBERT, pour qui ce toponyme est d'origine germanique car il provient des dialectes haut-allemand et frison (Treisch et Dresch), il faut lui accorder la signification de terrain vierge, de friche ou de pré banal. Quant à l'origine de Roisse-Poisson, Jean HAUST reconnaît au mot wallon "rwèsse" le sens de rude, escarpé ou rustique ; pour Poisson, je n'ai rien trouvé de probant.
Roisse-Poisson : nom de lieu assoupi au plus profond de la mémoire de quelques anciens Jupillois, il ne ressurgit que rarement des archives afin de compléter des documents de cartographes, de géomètres, d'historiens, de notaires ou d'autres urbanistes. Et si on se sert encore de ce toponyme dans les bureaux du Cadastre, c'est souvent au prix de mutilations graves dues à de téméraires exercices de prononciation, tant ont été nombreuses ses désignations successives au cours des siècles précédents.
Le bief de Roisse-Poisson était un mince bras de la Meuse s'aventurant au travers de l'ancienne plaine de Droixhe, à l'emplacement de l'actuelle Avenue de Jupille (désigné jadis "Divant Cronmoûse = Devant Coronmeuse" en "Haute Drwèhe = Haute Droixhe"), il se dirigeait ensuite vers la cuve en cuivre rouge (inaugurée le 24 mai 2000 face à l'entrée du Marché Couvert). Après une légère inflexion, vers les portiques des nouvelles extensions de la brasserie AB-Inbev (extensions construites à la fin des années 1990 sur le site de l'ancien Tir Communal, au lieu-dit "Plér'vèke = Pré l'évêque), ledit bief revenait vers la Meuse d'aval, par l'arrière de l'ancienne gare (au lieu-dit "Pré 'n-île = Preit en Isle = Pré en île"), soit à quelques dizaines de mètres avant le passage d'eau situé presque en regard de l'émergence de l'actuelle Rue Ladjet dans la Rue de Visé. Nos aïeux situaient ce passage d'eau "a l'èwe låvå = à l'eau de l'aval" ou "al longue pîre = à la longue pierre" qui était un ensemble de grosses pierres mal équarries formant un mur empêchant les terres et ballast, soutenant les voies ferrées depuis 1861 dans le quartier de la Wache (Place de Meuse actuelle), de s'affaisser et glisser vers le fleuve.
Qui dit bief, dit canalisation, dit réalisation totale ou partielle par la main de l’homme. Ainsi il y a de cela plusieurs siècles de vaillants terrassiers ont contribué, peu ou prou au creusement de ce bras d’eau et, par conséquent, à la formation d'une île désignée comme étant : la Grande Île, l'Yslea Jean SIMON en 1617, l'Île de Herstal-aux-Pourceaux, l'Île SÅVEÛR (SAUVEUR) en 1867 et plus tard l'Île ÉBЀN/EYBEN ou l'Île de Marie LARDINWЀS (LARDINOIS). Des îlots sont apparus sporadiquement sur la Meuse, sculptés qu'ils étaient par les remous et la force des crues épisodiques. Constitués d'alluvions que le fleuve entassait là où sa vitesse s'apaisait, ces îlots étaient effacés ou déplacés par la crue suivante. La toponymie locale n'en a retenu qu'un seul, vraisemblablement celui qui a résisté le plus longtemps, c'est l'Île du Milieu (Île dè Mitan, non reprise sur la carte ci-après – voir au n° 16) que la Meuse avait déposée entre la Grande Île et les terres de Monsin.
Edmond JACQUEMOTTE et Jean LEJEUNE, dans leur "Glossaire Toponymique de la Commune de Jupille" de 1904, font remonter l'existence de ce bief à 1322 et en énumèrent plusieurs appellations : Rosepescon en 1322, Rostipisson en 1330, Roiste pexhon en 1438, Ros Pexhon en Droixhe en 1456, Roestpexhon en 1489, Bî (= bief en wallon) Herman PIRON en 1675, Rwèhe-péhon, Rwèse-péhon, Biez du moulin LIBOTTE en 1848 puis du moulin BASTIN et, enfin, apparence de francisation en Roisse-Poisson en fin de 19e siècle. Le bief a disparu entre 1925 et 1930, sacrifié sur l'autel des assainissements prévus pour l'Exposition du Centenaire de la Belgique.
Afin d'objectiver, de concrétiser, une représentation du bief de Roisse-Poisson pour quiconque tentant d'en saisir l'image, j'ai créé une carte en m'inspirant de celle de l'atlas du général Joseph-Johan-Franz de FERRARIS (1777), de celle de L-N. VREURICK de 1835, de celle de Philippe VANDER MAELEN (1853), de celle de Philippe-Christian POPP (1858), de celle d'Edmond JACQUEMOTTE et Jean LEJEUNE (1904) et, pour en finir, de la toponymie, ô combien précieuse, de "Herstal en cartes postales" (tome I) de Pierre BARÉ, redoutable connaisseur/collectionneur herstalien décédée en 08/2015. Il s'agit donc d'une carte hybride puisqu'elle jette sur la même feuille des éléments d'époques différentes (notamment parmi les rues de Jupille) et en fait disparaître d'autres pour des raisons de clarté, par exemple : la voie ferrée Liège-Visé en Basse-Droixhe à partir de 1861, le sentier longeant la rive droite de la Meuse et du bief (lire les n° 9, 14 et 20) et "l'Île dè Mitan = l'Île du Milieu" (voir n° 16). Le but de ce document est de permettre au lecteur de définir le bief et d'en avoir des repères géographiques et toponymiques précis. Attention : certains numéros peuvent cibler plus d'un site.
Sur cette carte, toutes les voies d'eau sont en bleu. Néanmoins, afin de bien le faire ressortir, le bief de Roisse-Poisson est au centre de la carte en bleu foncé moucheté de points blancs. Depuis toujours, les crues des eaux de la Meuse en aval de Liège se sont heurtées aux "Terres de Monsin/Monsaint" dans un site connu pour la sévérité de sa courbe, une déviation brutale, appréhendée par tous les "Moûs'leûs" (= les mariniers de la Meuse comme les "Oût'leûs" étaient les mariniers de l'Ourthe qui avaient leur quartier général sur la rive droite au flanc amont de l'actuel Pont de Méry, à proximité du "maka" du Gobry). Nos terres liégeoises sont proches des régions de langue germanique : courbé ou dévié se dit "krumm" en allemand, "krom" en néerlandais. A l'évidence, nous avons là l'occasion de saisir la genèse du toponyme "Coronmeuse". C'est Jean HAUST qui l'écrit à la page 166 de son "Dictionnaire Liégeois" : les mots germaniques "krumm" et "krom" ont été romanisés/francisés par le biais du substantif "coron" afin de former "Coronmeuse", par facilité/proximité phonique et non par référence aux habitations des ouvriers mineurs.
Le plan et la signification des numéros.
1. La Naye : il s'agit d'une voie d'eau que les Herstaliens nommaient également "Dérivation". Cette voie d'eau n'existait que lors des crues sévères de la Meuse ; le reste du temps, la Naye n'était qu'eaux stagnantes croupissant dans une succession d'étangs faisant la joie des pêcheurs, des promeneurs du dimanche ou des gamins chassant salamandres ou autres écrevisses servies dans les fritures des environs. Les fritures étaient nombreuses en Monsin (la plus ancienne s'appelait "La Fourchette", elle datait de la fin du 18e siècle), elles offraient de nombreux poissons ou crustacés du cru mosan et des pommes de terre réputées pour leur goût particulier dû aux alluvions déposées sur les emblavures potagères lors des inondations. Outre ces fritures, plusieurs laiteries permettaient aux promeneurs d'apprécier le lait et ses dérivés en direct du pis de la vache ou autre brebis ;
2 .Axe de l'actuelle Rue Marexhe à Herstal (ancienne Chaussée Brunehault faisant partie de l'antique chaussée romaine Tongres-Trêves) qui traversait le Canal de Maastricht (n° 5) par le biais du Pont Marexhe (pont métallique tournant) et la modeste Naye par le biais du Pont WILLEM (pont de pierres) à partir de 1897. Après avoir franchi la Naye, l'ancien chemin rectiligne était désigné "Chemin de Jupille" (il aboutirait actuellement entre le centre de voile de l'A.D.E.P.S et l'entrée du bief menant à la centrale électrique du pont-barrage). Ce chemin se dirigeait vers un moulin à vent réputé, élevé en 1697 par un certain Pierre LOVINFOSSE, on l'appelait le "Moulin de Marexhe ou de Monsin".
Au temps des Romains, le Canal de Maastricht n'existait évidemment pas et la Meuse était traversée à gué, entre Marexhe et le plateau de Gît-le-Coq, car elle avait déjà les allures de ce que nous appelons aujourd'hui la Basse-Meuse pendant une bonne partie de l'année ;
3. Axe de l'actuelle Rue Saint-Léonard quittant Liège pour devenir Rue Hayeneux en entrant dans le quartier de Marexhe (marais) à Herstal ;
4. Axe rectiligne de l'actuelle Rue des Bayards à Liège ;
5. Canal de Maastricht (1849-1939), canal creusé par des centaines de terrassiers allemands (dont une bonne moitié succomba lors d'une épidémie de choléra en 1846). Évincé par le Canal Albert en 1939, le Canal de Maastricht s'initiait dès la Fonderie de Canons de l'actuelle Rue Commandant Charles MARCHAND, s'ouvrait sur un large bassin toujours existant (entre les actuels Parc Astrid et Quai de Coronmeuse) et traversait Herstal en parcourant les actuels Boulevards Ernest SOLVAY et Zénobe GRAMME. Notons qu'une longue jetée, s'avançant de la rive gauche de la Meuse jusqu'à mi-fleuve, dont les bases sont toujours visibles sur le flanc aval du Pont de l'Atlas V, formait obstacle à l'avancée des eaux mosanes vers le nord-est et les forçait à rentrer dans le Canal de Maastricht afin de maintenir une hauteur d'eau suffisante pour les hernas (modestes péniches halées). Seules les eaux de l'Ourthe, arrivant par la partie dénommée "Barbou", s'écoulaient sans entrave vers la courbe de Monsin (rappel : c'est depuis les travaux d'assainissement de l'exposition de 1905 aux Vennes que les eaux de l'Ourthe et de la Meuse ont été rassemblées dans les quartiers de Fétinne et de Rivage-en-Pot ;
6. La Laye : premier exutoire naturel des eaux de la Meuse en crue vers les terres plus basses de Monsin. C'est à l'amorce de cet exutoire, sur la rive gauche de la Meuse, que le passeur d'eau de Jupille (n° 11), venant du site de "l'èwe låvå" sur la rive droite, déposait ses passagers ou d'autres charges à l'endroit d'une grosse ferme désignée successivement DEL WAIGE, DE LA WACHE, TRAPPÉ, RASSENFOSSE, CRÉMERS et LEBOUTTE. Ce bras d'eau fut comblé entre 1855 et 1857 et transformé en terres agricoles ou servitude utilisée par les navetteurs se rendant vers Milsaucy, le centre de Herstal ou la Place Licour (comprendre Place de la Libre Cour) ;
7. Le bief TRAPPÉ : dès le 15e siècle, la puissante famille TRAPPÉ (del TRAPPE à l'origine) reprend la Ferme de la Wache à Jupille aux MAGHIN. Cette famille TRAPPÉ provenait du village de Lowaige (flamandisé en Lauw) dans la banlieue de Tongres. Lowaige s'est patoisé et altéré en "Li Wèdje" qui s'est, à son tour, altéré en se francisant en "La Wache" (idem pour la Rue de la Wache à Liège). Sur le bief qu'ils avaient fait creusé en Monsin, les TRAPPÉ installeront une puissante fenderie (laminoir à deux phases d'étirement) qui provoquera la fermeture de nombreux petits ateliers/clouteries à Herstal et Wandre. Les TRAPPÉ avaient plusieurs sites et domaines d'activités industrielles ou agricoles ;
8. Le Pont ÉBЀN/EYBEN …. qui n'était pas un pont mais une jetée ( al'djèterèye = à la jetée) lancée, à l'entrée du bief, jusqu'à mi-Meuse afin d'en forcer les eaux à s'engouffrer dans Roisse-Poisson pour en limiter l'envasement et générer un flot capable de faire tourner les roues à aubes des moulins ou autres scieries. Sur les reproductions (peintures ou photographies), il apparaît que la structure en bois portant cette estacade pouvait supporter la pose de tôles ou de planches escamotables afin de maintenir l'efficacité du détournement des eaux vers le bief en cas de sécheresse/étiage. Le Pont EYBEN n'était accessible que de l'Île de Herstal-aux-Pourceaux sur laquelle on parvenait en franchissant le Pont de Planches (Li Pont d' Plantches) entre les n° 14 et 15 sur la carte. Au cours des années 1900, le voisin le plus immédiat de cette jetée était la friture-restaurant que la famille BAUDRIHAYE (puis MATHOT) tenait, sur la rive opposée, à la pointe occidentale (désignée la "Fourchette") de l'île Monsin, entre Naye et Meuse ;
9. Le passage d'eau de Coronmeuse ou de la Lèche (déjà cité en 1330). La nacelle du passeur assurait la jonction entre le Tir communal (présent à cet endroit de 1862 à 1930) et le café désigné "Maison Blanche" sur l'Île aux Osiers sur la rive gauche et la friture-restaurant "À la Lèche" au lieu-dit "Al' barche = À la barge" sur la rive droite de la Meuse. L'appellation "À la Lèche" n'est pas à prendre à la lettre puisque la Lèche est à plus de 50 m à l'arrière de la friture (voir n° 10). L'hippodrome (entre 1835 et 1912) et plus tard le vélodrome de Jupille sont ici les voisins du passage d'eau en Haute-Droixhe jupilloise. Un sentier venant de Bressoux longeait la rive droite de la Meuse et du bief et filait vers le "Pont d' Plantches = Pont de Planches" (entre les n° 14 et 15) avant de revenir, par Basse-Droixhe, vers "Li Longue Rouwale = actuelle Rue Désiré SIMONIS" (n° 20) ;
10. Ce trait serpentant indique le creux/cours/rigole de la Lèche que nos aïeux appelaient "Li (X)Horote del Lèdje/Lètche = le ruisseau/sillon de la Lèche". Plusieurs orthographes sont connues : Lage en 1346, Leiche en 1478, Leische en 1494, Leche en 1676, Lèche en 1703, Lège en 1735, Leche en 1770, Lexhe en 1781 et Lèche depuis 1846. Ce ruisseau, au gabarit variable selon les saisons, était alimenté par trois autres (voir les numéros 22, 23 et 24) : le Ruisseau du Poncay de Bressoux, le Ruisseau du Moulin de Robermont au Trou LOUETTE et le Ruisseau d'Ѐdjîrî du Fond Crahay. La Lèche était également désignée la "Xhorre des Révérends Pères Chartreux de Haute-Cornillon" au 18e siècle car ces religieux y possédaient un grand vivier réputé poissonneux qui leur permettait d'assouplir, un tant soit peu, leur dure loi d'abstinence (quelques immeubles et ponceaux avaient été construits près de ce vivier à hauteur du n° 10). Le cours de la Lèche était également suivi par le sentier/chemin dit du "Pré NAVEAU" (n° 13) ;
11. Le passage d'eau de Jupille en "Ѐwe Låvå = Eau de l'aval" ou "de la Wache" ou "Al' Longue Pîre = À la longue pierre". La longue pierre, c'était un mur incliné de 1,5 m de haut, fait de grosses pierres dont la destination était de soutenir les terres et ballasts contre les tassements/affaissements dus au passage des trains de la ligne 40 en Basse-Droixhe et au lieu-dit "Al Wadje" en particulier. Une pente douce permettait d'y atteindre la nacelle du passeur d'eau. L'actuelle Rue Ladjet est longtemps restée le seul chemin permettant de se rendre vers Wandre et Visé. Le traçage de l'actuelle Rue de Visé vers 1840, la pose des voies ferrées de la Ligne 40 vers 1860 et les travaux de l'Exposition du Centenaire entre 1925 et 1930 ont bouleversé le site originel au point de le rendre complètement méconnaissable. Des milliers de tonnes de terre de remblai ont été nécessaires afin de faire reculer la Meuse et de la repousser dans les terres de Monsin (et, je ne m'étendrai pas sur les travaux de la brasserie et de l'autoroute au début des années 1960). La nacelle du passeur permettait aux passagers d'atteindre Herstal sur la rive gauche de la Meuse, à hauteur d'une ancienne grosse ferme (voir item n° 6) et de poursuivre vers le centre de Herstal ou vers la Place Licour (de la Libre Cour). Marcel DELSUPEXHE et Eugène MANGIN furent les deux derniers passeurs, ils tenaient café et commerce d'articles de pêche sur la rive jupilloise du passage d'eau. Les travaux d'assainissement pour l'exposition de 1930 en Droixhe sonnèrent l'hallali des passages d'eau de Coronmeuse et Jupille. Eugène MANGIN retrouva un emploi en tant que chauffeur à la Fabrique Nationale à Herstal ;
12. L'ancienne Île de Malte (désignée également "Cul du Dos FANCHON" parce que située en aval du Dos FANCHON) : désignation accordée par le peuple de Liège, au cours de joutes nautiques festives le 27 juillet 1798 (écrit Théodore GOBERT à la p. 444 du tome VII des "Rues de Liège") afin de commémorer la prise stratégique de La Valette (capitale de l'Île de Malte) par Napoléon BONAPARTE le 11 juin précédent.
Par ailleurs, la Ville de Liège, souhaitant construire un nouvel abattoir vers 1870, annexa l'Île de Malte au Dos FANCHON, par comblement du fossé mosan, afin de pouvoir bénéficier d'une surface de construction plus importante. Enfin, depuis des temps immémoriaux, la tradition verbale liégeoise nous indique qu'une île pouvait être désignée selon l'image qu'elle générait dans l'imaginaire du citoyen, c'est à dire l'image du dos émergé d'un être inanimé flottant au fil de l'eau. C'est pour cette raison que nous sont restés, dans le domaine de la toponymie liégeoise, des noms propres aussi évocateurs que le Longdoz et la Rue Dos FANCHON ;
13. Le Sentier/Chemin du Pré NAVEAU (NAVEA en 1533, NAAVEAU en 1652, NAVAY en 1807) : ce sentier partait de Bressoux (davantage de l'actuelle Rue Général Charles de GAULLE que de l'actuelle Rue du Moulin), il partageait la plaine de Droixhe en deux : au nord, Haute-Droixhe et au sud, Basse-Droixhe. Il franchissait la Lèche au lieu-dit "Pont a l'ourtèye = Pont au massif d'orties" (n° 27), il en longeait le sillon et le bief de Roisse-Poisson sur leur rive droite, il traversait les lieux-dits de "Plér'vèke = Pré de l'évêque" et de "Pré 'n-Île = Pré en Île" et arrivait au passage d'eau de Jupille. Le sentier du Pré NAVEAU était également désigné "Li Pazê del Basse-Drwèche = le sentier de (la) Basse-Droixhe" ;
14. "Le Pont de Planches = Li Pont d' Plantches = La Passerelle" : le seul vrai pont franchissant le bief de Roisse-Poisson afin d'atteindre l'Île de Herstal-aux-Pourceaux. Ce pont figure dans de très nombreux récits car il était un point de repère connu de tous le long du sentier partant de "li longue rouwale = la longue ruelle = actuelle Rue Désiré SIMONIS" (n° 20) ; ensuite, côtoyant le bief, ce sentier filait vers le passage d'eau de Coronmeuse, l'hippodrome, l'artificier DRESSE et enfin Bressoux (devenue commune dès 1871 sur un territoire relevant auparavant de Grivegnée) ;
15. La Grande Île ou l'Yslea Jean SIMON en 1617 ou l'Île de Herstal-aux-Pourceaux ou l'Île SÅVEÛR/SAUVEUR en 1867 ou l'Île ÉBЀN/EYBEN ou l'Île LARDINOIS. C'est sur cette île qu'avait été érigé un seul bâtiment très ancien sur lequel le couple formé par Henri-Nicolas LARDINOIS et son épouse Marie BONEMME, acquéreurs de l'île en 1890, construisit une ferme en 1918, ferme qui sera l'objet d'une peinture de Servais HOUVELEZ, aquarelliste et auteur jupillois fécond et bien connu ;
16. Le bief de Roisse-Poisson revient à la Meuse : à cet endroit, les eaux du fleuve et du bief y déposant leurs alluvions, il surgissait périodiquement un îlot : "l'Île dè Mitan = Île du Milieu". Cet îlot, régulièrement emporté lors de la crue suivante, était suivi d'un gouffre craint des bateliers : "Li Trô dèl' Bråkène" ;
17. Lieu-dit "Plér' vèke" arpenté par le Sentier/Chemin du Pré NAVEAU : altération de "Pré de l'Évêque" ;
18. Lieu-dit "Pré 'n-Île" le long du Sentier/Chemin du Pré NAVEAU : altération de "Pré en Île". À quelques 30 m en aval de ce n° 18, les eaux du bief mettaient en mouvement, au 19e siècle, les roues à aubes du moulin LIBOTTE (puis BASTIN) et de la scierie de Félix CHÉVAU situées sur leur rive droite. La placette située en vis-à-vis de l'actuelle Place de Meuse est encore désignée de nos jours Place LIBOTTE par les anciens de Jupille ;
19. Ce bout de chemin est toujours présent en 2016 (plus pour longtemps peut-être). Il est désigné "Rue du Pré Commun" entre la Rue Dieudonné DEFRANCE et la Place Louis de GEER et ne semble mener que vers les stocks d'un commerce de charbon/mazout et vers le domaine de la S.N.C.B/INFRABEL ;
20. "Li Longue Rouwale = la Longue Ruelle = l'actuelle Rue Désiré SIMONIS" : très ancienne voie s'aventurant dans les terres de Basse-Droixhe et menant au sentier atteignant le "Pont d' Plantches = le Pont de Planches". La dédicace au bourgmestre de Jupille, Désiré SIMONIS, a été adoptée en Conseil Communal le 20 juillet 1901, du vivant du bourgmestre : fait rare et exceptionnellement réitéré, comme pour les Rues HERMESSE et PIEDBŒUF ;
21. Plateau de Gît-le-Coq : centre emblématique de Jupille, le site de Gît-le-Coq rassemble une cohorte d'éléments ayant trait à la fondation du village originel à l'époque romaine, à son développement pendant la période carolingienne et à son devenir en tant que commune ;
22. Le Ruisseau du Poncay : ce ruisseau important colportait les eaux des araines du Charbonnage des Prairies en Haute-Cornillon (à l'angle des Rues Justin LENDERS et Élise GRANDPREZ à Bressoux), du Charbonnage de Sainte-Famille (à l'endroit du monument aux morts dans le cimetière de Robermont) et du Charbonnage du Bois des Mangons (sur la plaine de l'Oasis, en haut du Thier du Bouhay à Bressoux). Ce ruisseau surgissait, du ventre de la colline de Robermont, par le biais d'une longue galerie horizontale (encore accessible le D. 4 octobre 1992) débouchant derrière une porte métallique inscrite dans un mur grisâtre entre les n° 76 et 82 de la Rue Winston CHURCHILL, juste en vis à vis de la Rue Frères PHILIPPART. Jadis, les eaux du ruisseau erraient pendant 200 m au travers des houblonnières de "Tanixhe" avant de se jeter dans le Canal de Golette à hauteur du croisement des Rue du Marché et du Poncay. Lors de l'urbanisation de Bressoux, du traçage des Rues du Moulin et du Marché et autres adjacentes, une partie des eaux du ruisseau pris la direction de l'est, vers Droixhe et ultimement la Lèche.
Notons que le charbon extrait dans les charbonnages cités plus haut (auxquels doit s'ajouter le Charbonnage de Chartreuse et Violette de l'Impasse Denis VALKENBERG dans la Rue Winston CHURCHILL) était transporté par chemin de fer (en suivant l'axe passant par les actuelles Rues du Chemin de Fer, Servais THÔNE et FASSIN qui n'existaient pas encore) vers la rive droite de la Meuse après avoir traversé une passerelle sur le bras d'Ourthe du Barbou (qui n'était pas encore l'actuelle Dérivation). Des nacelles emportaient le charbon sur la rive gauche de la Meuse, à hauteur de l'actuelle Rue des Armuriers, afin de le livrer aux forges et fours de la Fonderie de Canons (site actuel de l'Athénée de Liège-Atlas). L'administration de ces quatre charbonnages était assurée dans l'immeuble portant le n° 92 de l'actuelle Rue Winston CHURCHILL à Bressoux ;
Bâtiment situé au 92 de la Rue Winston Churchill ou fut assuré l'administration des quatre charbonnages dont il est question dans le paragraphe 22.
Porte métallique située rue Winston Churchill entre le 76 et 82, derrière laquelle débouchait un ruisseau surgissant du ventre de la colline de Robermont.
23. Ruisseau du Moulin de Robermont : ce ruisseau, constitué par les eaux provenant des hauteurs du massif de Robermont (aux lieux-dits "Les Bassins et les Sarts" après lesquels il était censé faire tourner les aubes du moulin du couvent des Cisterciennes, religieuses présentes sur le territoire de l'actuel cimetière de Robermont de 1200 à 1789), surgissait à hauteur du Trou LOUETTE après avoir dévalé les pentes des actuels services communaux des "Plantations". Il traversait l'ancienne "Route de Jupille = actuelle Rue Winston CHURCHILL" et préfigurait le tracé rectiligne de l'actuelle Rue Ferdinand HEUVENEERS avant de virer à droite vers le site de l'ancienne gare de Bressoux ;
24. Ruisseau d'Ѐdjîrî du Fond Crahay : ruisseau descendant du hameau des Bruyères à Jupille en suivant le Fond Crahay qui marquait la limite communale tracée entre Jupille et Grivegnée, d'abord, puis Bressoux à partir de 1871. Ce ruisseau s'amorçait à hauteur de l'actuel cimetière de la Bure à Bois-de-Breux et des installations sportives des TEC, il séparait les actuelles Rue de Pilzen et des Fagnes, il longeait le domaine de l'ancienne ferme/houblonnière du Fond Crahay (dans le virage serré de la Rue de Pilzen), il plongeait ensuite, par l'actuelle Rue du Fond Crahay, vers l'ancienne "Route de Jupille = actuelle Rue de Liège" et s'aventurait vers "Li (X)horote dèl Lètche = le ruisseau/sillon de la Lèche" dans les terres de Basse-Droixhe.
Encore aujourd'hui en 2016, lors d'averses importantes, il est fréquent de remarquer que ce ruisseau traverse et abandonne ses boues au travers de la Rue de Liège, à hauteur de la Rue du Fond Crahay. Et ce, depuis des temps immémoriaux !
Édjîrî, mais d'où peut provenir pareille désignation ? Ce mot ne tombe pas du ciel, il s'appuie sur d'autres qui l'ont précédé, qui ont été déformés et qui se sont altérés. Le Glossaire Toponymique d'Edmond JACQUEMOTTE et de Jean LEJEUNE nous indique la voie à suivre : Nigirrey en 1221, Négiriwe en 1401, Negyrue en 1553, Girouwe en 1561, Engireux en 1631, en Egiry en 1716 et en Regirir en 1717. Dans tous ces toponymes, on retrouve la racine latine niger, nigra, nigrum signifiant noir et le suffixe ri, ru, ry signifiant ruisseau. Aux alentours de l'an 1000, alors que nos régions sont encore couvertes par la forêt primitive et dense, deux secteurs professionnels sont favorables à la mise en exploitation des bois/forêts : les agriculteurs recherchent des surfaces propices à l'élevage ou à la culture et les métallurgistes recherchent du bois pour en faire du charbon de bois afin de faire monter davantage la température de leurs bas-fourneaux. Une aire de bois touffu destinée à être abattue et mise en coupe était appelée nemus/nemoris en latin (en français, on dit essartage). Dès lors, puisqu'il est question d'un ruisseau noir, je pense que c'est parce que ce ruisseau surgissait de bois denses et obscurs ou parce que ses eaux portaient la trace et la couleur des cendres de charbon de bois fabriqué lors de la mise en coupe des nemora dans les actuels lieux-dits des Sarts (Essarts) et du Fond Crahay ;
25. La Ferme LOUIS (ex-LABEYE, ex-DESSART, ex-DHAENEN, ex-RASQUINET et ex-HANQUET, par ordre d'ancienneté croissante) au n° 86 de l'actuelle Rue de Bois-de-Breux, à l'angle de la Rue Jean JAURЀS. Avant que la Rue de Bois-de-Breux ne soit tracée en 1886 entre un étang et l'arrière de la ferme, l'itinéraire de jadis, désigné "Li Rouwale Hågngneû = la ruelle Hågngneû", passait entre la ferme et les annexes qui lui font face, soit au milieu de l'ensemble, avant de rejoindre le chemin de Baille-Colleye au sud-ouest ;
26. L'actuelle Rue des Trixhes assurant la jonction entre la Place Gallo-Romaine et la Rue de Bois-de-Breux aux Bruyères. Avant de se voir décerner la vocation de rue très pentue, cet itinéraire n'était qu'une rigole [une (x)horote] permettant l'évacuation, entre autres, des eaux d'exhaure (pompage) des charbonnages du haut des Trixhes (les bures Belle-Vue et Général) vers les actuelles Rue de l'Araine, Derrière-le-Château et Ivan POKHITONOV afin d'actionner les aubes du Moulin COLLARD (situé à l'endroit de la boulangerie dans l'axe et en bas de la Rue Ivan POKHITONOV) avant d'atteindre le Ruisseau de Fléron sur le site de l'actuelle Rue de Meuse, soit au terme de sa traversée de Jupille ;
27. "Li Pont a l'ourtèye = Le pont au massif d'orties" : lieu/repère où le chemin/sentier du Pré NAVEAU (n° 13) traversait la Lèche par le biais d'un ponceau. Loin d'être un ouvrage d'art, il s'agissait d'un simple ponceau jeté à la hâte, comme d'autres, sur ces trois ruisseaux de Basse-Droixhe.
Une dernière précision : notre orthographe française recèle la particularité de faire apparaître deux consonnes voisines, un "X" suivi d'un "H", dans plusieurs mots, qu'ils soient à considérer comme substantifs ou comme noms propres. Nous répertorions ainsi : l'exhaure, la xhavée, la xhorote, à Xhendelesse, à Xhoffraix, à Xhoris, à Xhovémont, chez XHAUFFLAIRE, chez XHÉNEUMONT, chez XHIBITTE, etc. Et, hiatus troublant, Jean HAUST, dans son "Dictionnaire Liégeois", n'a même pas retenu la lettre "X".C'est dans "La Libre Seigneurie de Herstal" d'André COLLART-SACRÉ que j'ai trouvé une explication plausible à cette curieuse association que le plus téméraire d'entre nous n'oserait prononcer, sauf s'il pratique l'albanais. L'argumentaire est le suivant :
1) aux 7e et 8e siècles, dans les régions du nord-est de la Belgique (aux limites des aires des langues latines et germaniques), les copistes avaient remarqué un son inconnu ; en l'occurrence, un son que je décrirais comme étant celui d'un "H aspiré/appuyé" ;
2) pour faire apparaître ce son nouveau dans leurs textes, les copistes en ont cherché un lui ressemblant dans les langues qu'ils pratiquaient et ils se sont arrêtés à la 22e lettre de l'alphabet grec, le "KHI", dont la graphie ressemble au "X" latin, tant dans sa forme minuscule que majuscule, "χ" et "Х", et l'ont insérée dans leurs écrits.
Voilà l'explication de l'insertion de ce soi-disant "X" dans notre français écrit et parlé (lors duquel cet "X" doit s'effacer et renforcer le "H" comme dans haricot, héros, Hollandais, Hambourg, Hawaï). Ce qui, selon le Petit LAROUSSE Illustré, se définit, en termes techniques, comme étant une épenthèse.
Texte et composition : Monsieur Octave Warzée, membre de la CHLJ
Mise en page, agencement et photos : Monsieur Alfred Jamin, membre de la CHLJ et responsable du blog de la dite commission.