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24 octobre 2019 4 24 /10 /octobre /2019 12:35

 

En préambule

La fête au hameau des Bruyères à Jupille-sur-Meuse


 

Dès les temps les plus anciens, dans les diverses civilisations, la fête ou les fêtes occupent une place prépondérante dans la vie, que ce soit dans l'Égypte des Pharaons, dans la Grèce ou la Rome antique, chez les Incas, les Mayas, les Aztèques …

 

Chez les Grecs et les Romains de l'Antiquité, il semblerait même que le nombre des jours de fêtes dépassait celui des jours ouvrables et, dans les stades de Rome, les citoyens scandaient "Panem et Circences" ou "Du pain et des jeux". Les banquets faisaient également partie des célébrations.

 

La fête répond donc à un besoin fondamental de l'être humain et est indissociable de celui tout aussi essentiel qu'est la nourriture.

 

Dès lors tout naturellement, l'Église catholique a, elle aussi, veillé à répondre à ces nécessités. Aux prêtres, elle a confié notamment le soin d'organiser des fêtes paroissiales (la paroisse, en quelque sorte la commune de l'Église), événements auxquels était convié l'ensemble des paroissiens.

 

Ainsi, la paroisse de Bois-de-Breux, fondée en janvier 1840, organise une grande fête le long de l'actuelle rue de Herve, de l'église à la place du Souvenir (à 30 m. de la Charnale). Les réjouissances commencent au début août par des fêtes campagnardes et foraines chez les "Djoyeûs d' Bwès-d'-Breû" ou "Joyeux de Bois-de-Breux" et se terminent fin août par des jeux et cortèges et "l'ètér'mint d' Matî l'Ohê" ou "l'enterrement de Mathieu l'Os" chez les "Anoyeûs dès Bruwîres" ou les "Tristounets des Bruyères". Parfois, la baronnie De la ROUSSELIÈRE s'associe à cette fête paroissiale et ouvre largement les grilles du domaine de Fayen-Bois.

 

Mais la paroisse ne correspond pas à la commune car d'essence et de limites différentes. Au hameau des Bruyères, dans la commune de Jupille, mais dans lequel une partie de la paroisse de Bois-de-Breux est tracée, la distance est longue pour rejoindre les "Djoyeûs" et encore plus longue pour descendre vers le centre de Jupille. Aussi, les quelques rares résidents des Bruyères de la deuxième moitié du 19ème siècle se sentent isolés, restent chez eux et se voient taxés "d'Anoyeûs".  

 

La guerre 1914-1918 (du 4 août 1914 au 11 novembre 1918) provoque la suspension de la fête paroissiale de Bois-de-Breux jusqu'en 1919. La brutalité de l'attaque et les dures privations imposées à la population pendant ces quatre années ont engendré la misère. Ce n'est qu'en août 1920 qu'une timide renaissance de la fête paroissiale a lieu à Bois-de-Breux tandis que rien ne s'organise au hameau des Bruyères.

 

Le besoin de "faire la fête" taraude les résidents des Bruyères qui ne cessent d'affluer de divers horizons. C'est un sujet habituel de leurs conversations. Une douzaine d'entre eux décident de se réunir régulièrement. De ces douze personnes, un trio va émerger

- Barthélemy (mieux connu sous le sobriquet de Biètmé DESSART

- Jean THONNARD

- Jean LASSAUX,

 

Création du cercle festif "Bruyères-Attractions" le samedi 10 juin 1922

 

 

Le fanion du cercle "Bruyères –Attractions" au local des pensionnés

(photo : 08/2018 - Octave WARZÉE)

 

 

Et la fête aux Bruyères s'organise la première fois fin août 1922 dans les prairies que Gilles ETIENNE loue à des fermiers/métayers. Ces terrains s'étendaient sur le versant méridional de l'actuelle rue de Bois-de-Breux, entre les actuelles voie MÉLOTTE et rue BODSON.

 

Mais les activités agricoles ne peuvent s'accommoder qu'un temps de l'inutilisation de pâtures, du déplacement du bétail, des dégâts aux clôtures, du creusement d'ornières qu'il faut combler... Il faut trouver un meilleur endroit pour y ouvrir la fête !

 

Le bagout, l'entregent, les relations de Jean THONNARD de « Bruyères-Attractions » font avancer les débats entre le cercle, la commune de Jupille et le propriétaire Gilles ETIENNE.

 

Début année 1931, des contacts ont lieu entre les résidents des Bruyères, des représentants de « Bruyères-Attractions » et les élus communaux et fort probablement que Jean THONNARD et Jacques LEMAIRE, conseiller dès octobre 1927 et échevin dès avril 1931, jouent un rôle déterminant tant par leur esprit de persuasion que de conciliation : voir à ce sujet l'article « À travers la Place Gilles ETIENNE, au hameau des Bruyères à Jupille-sur-Meuse » d'Octave WARZÉE.

 

Août 1931, première fête annuelle sur la place Gilles ETIENNE

 

Localisation

 

La fête annuelle des Bruyères aura lieu fin août et commence le samedi pour se terminer le jeudi suivant.

 

En bas de la place Gilles ETIENNE en 1931, se situent les commerces ROUYR et WILMOTTE ; à l'angle inférieur droit, l'immeuble de Jean et Marie HABRAN-HERZE et en haut la Chapelle Notre-Dame des Bruyères à droite et la grosse ferme de Gilles ETIENNE à gauche.

 

 

Le groupe du cercle "Bruyères-Attractions" et son drapeau posant devant

 le dancing dans le verger où se construira la Cité André RENARD en 1965

(photo : Louis PÂQUE)

 

 

Jusqu'en 1963, année du début de la construction de la cité André RENARD, les roulottes, la guinguette et le pavillon de « Bruyères-Attractions » se positionnent sur les terres des anciens propriétaires Jean et Henri HERZE tout en haut de la place. De mémoire des résidents, après 1963, la guinguette est installée en haut de la place, à l'entrée de la cité André RENARD. Les scooters (autos tamponneuses) prennent place, eux aussi, en haut de la place, dans l'axe de la rue des Pocheteux. Tout en bas, il y a souvent « la chenille » et « le carrousel à chaînes ».

 

Afin de toucher tous les habitants des Bruyères, pendant plusieurs années, en plus de la place Gilles ETIENNE, des attractions légères se localisent sur la placette près de l'école des Bruyères et à l'angle des rues Docteur BORDET et de la Libération.

 

En 1932, 33, 34, 35, 36, 37, 38 et 39 notamment, une promenade musicale, un bal populaire et une bataille de confetti se déroulent place Hors-Ville dans le nouveau quartier de Jupille.

 

Programmes des fêtes

 

Ceux-ci sont évoqués succinctement vu la richesse et la diversité de leur contenu. La plupart du temps, l'ouverture des festivités commence le samedi par les aubades traditionnelles et la fanfare de Nicolas MOËS tandis que son orchestre (appelé, lui, The Family Moesters) anime certains bals.

 

Le dimanche matin, un hommage est rendu aux victimes des guerres au gisant du cimetière des Bruyères et à l'enclos des héros au cimetière de Bois-de-Breux, rue Servais MALAISE. Au fil du temps, l'hommage se déroule seulement en face de la chapelle de la Vierge, en haut de la place Gilles ETIENNE, devant la plaque en marbre qui rappelle la disparition pendant la 2ème  guerre mondiale d'Ernest YERNA ( le frère de Marcel) et de Barthélemy DESSART, un des trois fondateurs avec Jean LASSAUX et Jean THONNARD de Bruyères-Attractions.

 

Les courses cyclistes

 

A la fin de certaines, le prix « Jean ROSSIUS » ou le prix « Hubert DELTOUR », gloires cyclistes locales, est attribué. 

Jean ROSSIUS (1890-1966) entre 1913 et 1930 participa entre autres à Liège-Bastogne-Liège, Paris-Bruxelles, le Tour de France... En fin de carrière, il tint un commerce d'articles cyclistes au n° 94 rue de Meuse. 

Hubert DELTOUR (1911-1993) brilla lui aussi dans pas mal de compétitions internationales dont le Tour de France, Paris-Bruxelles et des critériums...  

 

Les sites d'arrivées et départs des courses varient. Tantôt, elles partent du café DAIGNEUX-CLOSE à l'angle des rues Charlemagne et de Bois-de-Breux (la petite partie), tantôt de la place Gilles ÉTIENNE, en face de la boulangerie WILMOTTE ou du local de pétanque, rue des Houx. Souvent, elles arrivent dans la première ligne droite de la rue des Pocheteux, à quelques mètres de l'actuel club des pensionnés, ou dans la rue Docteur BORDET.

 

Les bals, dont celui du Président de Bruyères-Attractions, occupent un créneau important. Parmi les formations, remarque-t-on dans les années 70, l'orchestre de Jo CARLIER, trompettiste de talent connu internationalement et habitant de Bois-de-Breux,

 

On ne peut passer sous silence les soirées de gala. Ainsi on peut assister à l'opéra « CARMEN » en 1933, la comédie « Les surprises du divorce » en 1935, l'opérette « Li Bohémienne » en 1964 ...  « La Belle de Cadix » en 1966... et bien d'autres encore avec des artistes venus de divers opéras tant belges que français, de théâtres français... et des membres de Bruyères-Attractions.

 

Un grand concours international d'accordéon est organisé (en 1938, 1939)... Des ballets sont dansés par les « Girls de Bruyères-Attractions ». On peut encore citer des concours de bébés en 1935, de photogénie, d'élégance féminine, de grimaces (pour hommes) en 1939, un corso fleuri, des batailles de confetti, le concours de pétanque, le théâtre de marionnettes... Cette liste n'est pas exhaustive.

 

 

Le tir aux pipes réveille la vivacité du chasseur qui sommeille en nous

(photo : 08/1993 - Octave WARZÉE)

 

 

Plaisir-charité

 

Bruyères-Attractions en avait fait sa devise. Le comité des fêtes, outre l'organisation des festivités, se donne aussi pour but d'aider les plus démunis. Les listes de souscription pour l'organisation des fêtes rapportent beaucoup, les gains engendrés par les attractions également. Les bénéfices seront destinés à aider les plus déshérités tels que les handicapés polio-respiratoires, les enfants handicapés abandonnés, la recherche médicale contre le cancer à Liège, le prix de l'effort aux élèves de nos écoles... Des millions de francs à l'époque furent distribués pendant les 89 ans d'existence de « Bruyères-Attractions ».

 

En mai 2012, la liquidation de l'asbl "Le cercle royal ( depuis 1962) Bruyères-Attractions" a été prononcée par le Tribunal de Commerce de Liège. Le drapeau jaune et vert (au départ rose et vert) se trouverait à l'actuel club des pensionnés rue des Pocheteux.

 

Les membres de Bruyères-Attractions

 

Il faut rendre hommage aux Présidents, Vice-Présidents, Trésoriers, Trésoriers-adjoints, Secrétaires, Secrétaires-adjoints et Membres qui se sont engagés, dévoués et ont ainsi contribué à faire le grand succès de la fête des Bruyères sans oublier les commerçants, les habitants qui eux aussi ont apporté leur concours. Nous ne pouvons les citer tous et c'est dommage parce qu’ils méritent vraiment d'être reconnus.

 

Cependant, une figure émerge car il incarnait vraiment Bruyères-Attractions : son Président-fondateur : Jean THONNARD (1903-1986). Inlassable organisateur, démarcheur-collecteur, il a noué des contacts, établi de nombreuses relations, fait venir des artistes renommés d'horizons divers, tant d'opéras que de variétés ou des musiciens. Et il n'a pas rechigné non plus à monter sur scène : par exemple en 1934, « Grand Eden-Concert » avec le concours de ... Jean THONNARD, gai comique, en 1935, acteur dans la comédie «  Les surprises du divorce ».

 

 

Jean THONNARD (au centre) et son comité (de g. à dr : Mathieu 

MEULENBERG, ?, Mathieu PAUCHENNE et Nicolas MOËS

(photo : Louis PÂQUE)

 

 

"Dès les préparatifs de l'édition de 2017, un groupe de jeunes, vêtus de tee-shirts de couleur bordeaux à l'enseigne de "Jeunes Indeps", a proposé son aide afin d'innover et relancer/diversifier l'organisation de la fête. Lors de la création de ce groupe en 2013, six jeunes, tous issus de l' Institut Notre-Dame de Jupille (INDJ), ont œuvré à la (re)création d'un comité de jeunes à Jupille alors qu'ils ne résidaient pas tous à Jupille. Afin d'attirer de futurs membres, ces jeunes ont ajouté "Indeps" à la désignation de leur asbl afin de bien signifier qu'il n'était pas obligatoire d'être Jupillois pour y adhérer, sachant néanmoins que leur champ d'action reste principalement jupillois. Au fil des années 2017, 18 et 19 ce groupe a innové ou repris d'anciennes habitudes/caractéristiques propres à la fête, à titre d'exemples : inauguration/ouverture, cave à bières, soirée dansante, fricassée, cortège/aubades d'une clique locale dans les rues du quartier, quiz musical, jogging, tournoi de pétanque, souper, etc. .

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Documents consultés :

- programmes de la fête des Bruyères collectionnés par Laurent NISSEN ;

- article d'Info-quartiers du journal « La Meuse » du 22.08.1996 par G. LECOCQ.


 

Texte et mise en pages : Georgette CALIFICE de la Commission d'Histoire Locale de Jupille-sur-Meuse (en collaboration avec Octave WARZÉE) ;
Relecture : Ida DETILLEUX ;
Photos : Louis PÂQUE et Octave WARZÉE.
Webmaster : Alfred Jamin
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11 avril 2019 4 11 /04 /avril /2019 09:59

La librairie-papeterie DAMRY

à Jupille-sur-Meuse :

103 ans de lecture de 1899 à 2002



 

La rédaction de cet article a été rendue possible grâce à deux sources : la première est une lettre en wallon datée du jeudi 12 avril 1956, lettre publiée par Servais HOUVELEZ (1889-1965, auteur dialectal et aquarelliste jupillois) dans son truculent recueil intitulé « Djoupèye divins on vî mureu = Jupille dans un vieux miroir» (p. 164, publié en 1962) et la deuxième, les quelques heures de conversation que m’ont aimablement accordées en 2004 Victor et Marie-Thérèse DAMRY – FOLGNER dans leur charmant refuge, sur les hauteurs du Pays de Herve, d’où il leur arrive d’adresser une œillade nostalgique vers le site de la vieille tour en béton de la Brasserie PIEDBŒUF, tour érigée en 1934/37 et démolie entre l'été 2003 et le printemps 2004).

 

Au-delà, les rencontres et conversations que j’ai eues avec Renée LOUYS-COLLINS (née en 1929), Henri LEROY (centenaire né à Visé en 1904, présent à Jupille depuis 1911) et Joseph RASQUINET (1926-2014) ont été fructueuses et conviviales.   



 

Le samedi 30 mars 2002, à quatre heures du matin, Victor DAMRY a terminé son tri des journaux et autres revues au n° 164 de la Rue de Visé. Il enjambe son scooter rouge muni d’un panier fixé à l’avant du guidon et démarre afin d’accomplir, pour la dernière fois, la tournée de distribution de sa longue vie de libraire à Jupille. Une bonne heure et demie plus tard, Marie-Thérèse FOLGNER, l’épouse de Victor DAMRY, relève le lourd volet de la vitrine afin d’ouvrir, pour la dernière fois, son commerce de la Rue de Visé, face au siège administratif (inauguré en 1967 et fermé en 2010) de la Brasserie AB InBev (ex-PIEDBŒUF, ex-Jupiler, ex-Interbrew).

 

Le rideau tombe sur 103 ans de lecture aux mains des DAMRY, dans un des plus beaux magasins  de Jupille comme le disait Servais HOUVELEZ dans le texte de la lettre qu’il adressait, le jeudi 12 avril 1956, à Jules DAMRY le fils du fondateur.

 

Le mardi 2 avril 2002 (la veille, c’était le lundi de Pâques, jour férié), la librairie s’ouvre à nouveau, dans le même immeuble. Elle est aux mains de nouveaux tenanciers : le jeune couple formé par Olivier TIBO et Maryse PIRE.

 

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Avant d’entrer dans le récit et afin d’en faciliter la lecture et l’identification des acteurs, il est indispensable d’avoir une brève généalogie des trois générations de libraires DAMRY :

 

Victor DAMRY (1874-1945) époux de Marie HALBOISTER (1877-1935) : fondateurs ;

 

Jules DAMRY (1903-1970) époux d'Alberte (dite Berthe) MARÉCHAL (1916-1960) ;

 

Victor DAMRY (1940-…) époux de Marie-Thérèse FOLGNER (1943-…).

 

Dans sa lettre du jeudi 12 avril 1956 (c’est l’année de l’inauguration de l’autoroute Bruxelles – Ostende en avril, de l’assurance automobile obligatoire, de la semaine des 45 heures en juillet et de la catastrophe du charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle le 8 août), lettre adressée au libraire Jules DAMRY, le « binamé plankèt = bien-aimé camarade/compagnon » de l’époque, Servais HOUVELEZ énumère quelques faits et dates importants. HOUVELEZ, qui se proclame humblement « payîsan d’Djoupèye = paysan de Jupille », avertit son destinataire que sa missive poursuit deux buts : d'abord, lui souhaiter une bonne fête à l’occasion de la Saint-Jules qui est fixée au 12 avril et, par la suite, lui narrer ce qu’il sait, lui Servais HOUVELEZ, de la genèse de la librairie.


 

Servais HOUVELEZ (1889 - 1965) prend 1899 comme année de départ, il se souvient, il avait dix ans. Il rafraîchit les mémoires et plante le décor des débuts de la librairie, en cette extrême fin du 19e siècle. J'y ai ajouté quelques repères urbanistiques/historiques importants.


 

 

1899 : en ces temps-là, nos villages n’étaient desservis par aucun moyen de transport en commun roulant : rien, ni tram, ni bus. Il y avait bien la voie ferrée de Liège à Visé (depuis 1861, cette Ligne 40 traverse toujours Jupille-sur-Meuse par les anciens lieux-dits des Laids-Fossés, de Basse-Droixhe, d'En-Laixheau = en l'aisance, de Pré-l'Évêque, de Pré-en-Île et de l'Êwe Låvå = lire l'Êwe Lauvau = l'eau de l'aval), mais elle n’était utilisée que pour les convois commerciaux, sans transport de passagers. En direction de Liège, cette ligne faisait une halte aux gares de Bressoux, de Basse-Cornillon (située à l'arrière du nouvel hôpital du Valdor, gare de laquelle le viaduc d'accès n'enjambera la Rue d'Amercœur qu'à partir de 1938) et du Longdoz dans la Rue André GRÉTRY (sur le site des actuelles Galeries du Longdoz ouvertes en 1975 et de la Médiacité ouverte en 2009). Cette dernière gare était le terminus de la Ligne 40 qui permettait l'acheminement de marchandises entre Liège, Visé et la Hollande voisine.

 

1899 : pour se rendre à Maastricht en tant que voyageur jupillois, il fallait prendre la direction de Herstal en traversant la Meuse. Pour ce faire, il y avait la nacelle de Pierre DELSUPEXHE, le passeur d’eau. On embarquait sur la rive droite de la Meuse toute proches des voies ferrées, au lieu-dit « a l’ longue pîre è l’êwe låvå » (à la longue pierre à l’eau de l’aval), face à l’actuelle station de démergement et la courte portion de la Rue LADJET, à la sortie de Jupille vers Wandre. Le passeur d’eau débarquait ses passagers sur la rive gauche du fleuve (qui longeait les voies ferrées de la Ligne 40 et n’était large que de 60 à 70 m en ces années-là) après paiement de 2 centimes et demi. Ensuite, les voyageurs, après une courte volée de marches en bois, reprenaient leur périple (en arpentant le site de Monsin qui ne se transformait en île que lors des crues du fleuve, site peuplé de quelques fermes, de quelques restaurants-fritures aux abords de l'ancien tir communal, avant qu'il ne migre vers la rive gauche du bief de Roisse-Poisson à Jupille vers 1930, et parsemé de terrains d'entraînement des Lanciers de la Caserne des Ecoliers érigée en 1887 au Boulevard de la Constitution, devenue Caserne Antoine FONCK après la guerre 1914-18) vers le quai du Canal de Maastricht (canal qui filait vers la Hollande par les actuels Boulevards Ernest SOLVAY et Zénobe GRAMME à Herstal), afin de réembarquer vers la capitale du Limbourg hollandais au prix d’un demi-franc.

 

1899 : beaucoup de résidents ne savaient ni lire, ni écrire ; l’école n’était pas obligatoire, elle ne le deviendra qu’en 1914 dès l'âge de 6 ans, par le biais d'un enseignement primaire long de quatre degrés en huit ans, donc obligation scolaire jusqu’à quatorze ans. Mais la guerre 1914-1918 reporta l'application de cette loi à 1919. Dès l’âge de douze ans (soit l’âge de la Profession de foi dans la tradition chrétienne, en quelque sorte une forme d'âge de raison), les garçons prenaient la direction des houillères, des petites entreprises d'armurerie, de fine mécanique, des divers moulins, des menuiseries, des platineries ou des fermes. Cependant, il n'était pas rare d'y voir des petits costauds de dix, voire de huit ans. Quant aux filles, elles étaient destinées aux travaux domestiques ou suivaient les garçons pour des tâches bien souvent subalternes. Les grandes familles étaient légion, avoir un grand nombre d’enfants contraignait les parents à mettre les aînés encore plus rapidement au travail afin d’alléger les coûts des plus jeunes (pas d’allocations familiales, de chômage, de maladie/invalidité ou autres bourses). Le niveau de vie de la plupart des Jupillois était des plus modestes, les salaires étaient misérables.

 

1899 : dans les maisons, la lampe à pétrole (le quinquet) procurait un éclairage vacillant. Il y avait dans la commune, de ci de là, des réverbères à pétrole lampant ne diffusant qu’une lumière crépusculaire tout juste bonne à laisser deviner l'existence du réverbère. La plupart des voies n’étaient pas pavées, elles étaient ponctuées de flaques d'eau stagnante malgré les rigoles et de hauts arbres longeaient la Rue de Visé (opérationnelle depuis +/- 1840) jusqu'à Cheratte.



 

Revenons aux DAMRY :    

 

1899 : Servais HOUVELEZ s’adresse à Jules DAMRY afin de lui rapporter des souvenirs de son père. HOUVELEZ rappelle la création de la librairie par le bien-connu Victor DAMRY, le pionnier fondateur. Il rappelle que, dans l'ex-Rue de la Station (Rue des Anciennes Houblonnières depuis 1977), il se trouvait une petite aubette à journaux, elle était voisine d’un local abritant une treille autour de laquelle les Jupillois se rassemblaient afin de parier sur des coqs de combat (combats de coq interdits dès 1914). Cette aubette était le troisième « immeuble » en partant du cabaret STELEN ("amon l’crolèye = chez la bouclée", situé au coin gauche de la Rue des Anciennes Houblonnières quand on l'abordait par la Rue de Visé). L’aubette était en bois, elle était tenue par le vieux LUCAS de Wandre ; tout a été abattu pour y élever des locaux de la brasserie. Ce LUCAS avait une fille qui partit en Amérique où elle décéda.

 

Peu après le décès de sa fille, le vieux LUCAS abandonna son commerce. Victor DAMRY saisit l'occasion et reprit l'aubette. Il se mit à y vendre des journaux dès le point du jour car il était simultanément ouvrier-armurier à Herstal (où la Fabrique Nationale d'Armes de Guerre de Herstal avait été créée en 1889 par une association de petits armuriers afin de satisfaire une importante commande d'armes de l'État belge) et demeurait dans un petit bout de rue dont l’axe aboutit Place de Meuse. Ce bout de rue, désigné jadis Place Cokê (voir Totes sorts d'istwères di Djoupèye et d'ås Houlpê, p. 22, de Dieudonné JACQUEMIN, 1909-1988), Cour FASSOTTE depuis le 4 mai 1868, reçut la dédicace « Rue de l’Orphéon » du Conseil communal le 16 mars 1932.

 

Pourtant peu après, Victor DAMRY abandonnera l’aubette en bois du vieux LUCAS et son métier d’armurier. Désormais, la famille DAMRY va quitter Jupille pour Bellaire où, pendant quelques années, le couple tiendra la gérance de la Coopérative. Cependant, chaque jour, Victor DAMRY, touché par le virus du commerce, ne peut s'empêcher de "descendre" de Bellaire vers la gare de Jupille, de sauter dans le premier train vers la gare du Longdoz pour y réceptionner les journaux qu'il distribuera à domicile après être revenu par le train suivant.

 

Victor DAMRY "remontait" le centre du village afin d'en servir la clientèle et escaladait la « (x)Hayèye = ardoisière » (actuelle Rue Emile VANDERVELDE) dite Thier de Bellaire, offrant une côte rude au bas de laquelle étaient extraites et mises à sécher des ardoises en grès (haye en wallon) extraites du sous-sol schisteux local. D’un pas alerte, passant d’une commune à l’autre, il atteignait Julémont. Là, il rebroussait chemin afin de rentrer et assister son épouse, Marie HALBOISTER, à la Coopérative de Bellaire en s'efforçant d'oublier le fardeau de 35 kilos qu’il portait depuis l’aube. Et le lendemain, tout recommençait …

 

À cette époque, les journaux distribués étaient : Les Nouvelles du Jour, L’Ami du Peuple et Li Clabot (Le grelot). Comme beaucoup de personnes ne savaient ni lire, ni écrire, ni s'exprimer en  français, il y avait, ça et là, des « lecteurs populaires » qui traduisaient pour les autres. Cela permettait aux gens de se rassembler, de se voir et de parler du travail en atelier ou au jardin, des enfants, des divers élevages et de mille et une autres activités. « C’était le bon temps » proclamait un Servais HOUVELEZ nostalgique dans son recueil.



 

Du jeudi 27 avril au dimanche 5 novembre 1905, l'Exposition Universelle de Liège rassembla 39 pays et plus de 7.000.000 de visiteurs.

 

 

 

1905 : le couple DAMRY prit la décision de quitter Bellaire et de revenir à Jupille-sur-Meuse. Ils établirent leur résidence au Thier des Minimes (dans l'avant-dernier immeuble à gauche en montant vers l'årvô - mot du wallon liégeois signifiant passage voûté – des Pères Minimes) et l'époux relança une aubette à journaux dans l'actuelle Rues des Anciennes Houblonnières (voir photos suivantes et légende).

 

Le Thier des Minimes : voie à laquelle l’auteur dialectal jupillois Jean LEJEUNE (1875-1945) attribuait la réputation d’avoir été, pendant des siècles, le principal accès au village de Jupille.

 

Les DAMRY avaient trois fils : Jean, l’aîné, qui fit carrière aux chemins de fer, François, le deuxième, qui devint tailleur (il installera son commerce au n° 13 Rue des Anciennes Houblonnières, non loin de l’ancienne gare de Jupille et, par conséquent, bien près du site de l'aubette du vieux LUCAS dans laquelle son père, Victor, avait inauguré sa carrière de libraire) et le cadet, Jules, qui devint tailleur également. Outre leurs trois fils, le couple Victor et Marie DAMRY-HALBOISTER prit sous son aile la jeune Marie DANTHINE, une nièce orpheline de la lignée HALBOISTER, celle de l'épouse.


Victor DAMRY se trouva à l'étroit dans sa modeste aubette (la 2e), il lui fallait plus d'espace. Pour l'obtenir, il va cibler la terrasse couverte dans laquelle Victor MEUNIER accueillait le Personnel des entreprises environnantes afin de leur fournir gaufres, œufs durs ou autres bières PIEDBŒUF ou lampées de péquet. Vue de l’ancien site de la gare de Jupille, abattue depuis 1982, cette terrasse formait le coin droit de la Rue des Anciennes Houblonnières.

 

 

 

Ces deux photos sont prises exactement du même endroit : celui de la gare aujourd'hui disparue. On peut y reconnaître, sur la photo du haut (+/- 1910), le premier bureau de poste de Jupille à gauche et la terrasse couverte de Victor MEUNIER sur la droite. Sur la photo du bas (2003), à droite, ce qu'est devenue la terrasse de la phrase précédente aujourd'hui résidence privée et, à mi-hauteur sur la gauche, on peut découvrir la transformation de l'ancienne coopérative (devenue le Gambrinus II) et la disparition en 2001 de l'ancien café "Gambrinus" (sur la photo du haut). La deuxième aubette ouverte par Victor DAMRY se situait à l’endroit de la porte de garage de teinte claire (à hauteur du premier véhicule sur la photo du bas). Quant à la troisième aubette, sa baie d'ouverture, par laquelle étaient livrés les journaux, livres et autres cartes de vœux, s'ouvrait sur la gauche de la porte d'accès à l'immeuble du coin droit de la rue.

 

 

 

Ainsi donc au printemps 1905, alors qu'à Liège, le Parc de la Boverie, Fétinne et les Vennes accueillent l’Exposition Universelle de Liège, Victor DAMRY et famille reviennent dans le centre de Jupille : entre la brasserie et la chaudronnerie PIEDBŒUF, les Forges et Tôleries Liégeoises ( dites « li laminwèr = le laminoir » ), les Métaux Usinés ( dits « li pèrfor’rèye » ), la scierie CHÉVAU, la gare, le bureau de la Poste, le charbonnage de Chartreuse et Violette aux Houlpays et à deux pas de l’ancien café « Au GAMBRINUS » (à l’origine, désigné Café Lieutenant CHRISTOPHE puis Café POISSENGER et détruit au printemps 2001). C'est en plein cœur industrieux de la commune, cœur duquel surgissaient, nuit et jour, les mille gémissements du métal torturé par cintreuses, presses et marteaux, les bruits sourds des tonneaux de bière qui se heurtent et les nombreuses lueurs rougeoyantes des feux de forge.

 

De nouveaux journaux, des revues de mode et des romans hebdomadaires vont apparaître. Dès lors, afin de satisfaire la demande de sa clientèle, tout en se soustrayant au poids toujours croissant de la charge suspendue à ses épaules, Victor DAMRY va utiliser, désormais, une « tchérète a tchin = charrette à chien» pour transporter les publications à distribuer.

 

 

 

Jules DAMRY et son attelage dans la Rue PIEDBŒUF vers 1930

 

Le temps s'écoule et débouche sur les années 1930

 

Au début des années 1930, un immeuble est à vendre dans la Rue de Visé. Il s'élève sur la droite, en direction de Wandre, face à un long mur limitant l’ancienne propriété privée de Félix CHÉVAU, maître de scieries, puis de Mathieu LEDENT, directeur du Charbonnage des Quatre-Jean à Queue-du-Bois (propriété privée devenue, depuis 1967, parking et siège administratif de la Brasserie PIEDBŒUF puis fermé en 2010 ; siège administratif conçu par les architectes Lucien NAHAN et Nicolas SIMON qui en ont fait le quasi jumeau, à un bras près, du Berlaymont construit au début des années 1960 au Rond-point SCHUMAN à Bruxelles).

 

En outre, la brasserie PIEDBŒUF, sous la direction de Henri PIEDBŒUF (1889-1943, l'époux de Marcelle ORVAL, l'emblématique Madame PIEDBŒUF conduisant sa Mercédès) et de son beau-frère Albert Van DAMME (1899-1995, qui, jeune étudiant venu de Blankenberge pour apprendre le français en accomplissant ses études aux H.E.C, avait un kot chez la veuve Maria PIEDBŒUF-LHOEST à Jupille et finit par épouser Eugénie, la fille de sa logeuse et sœur de Henri), a de grandes ambitions. Par le respect permanent des règles de l'épargne et suite à de fécondes alliances, les directeurs ont prévus d'augmenter les capacités de stockage et la production : dès 1937, une tour grise en béton, haute de 77 m, barrée d'un éclatant "PIEDBŒUF", portera bien loin les lueurs de l’horloge et du phare qui la surmonteront : vraisemblablement,  jusqu’à l’opulent et tout aussi lumineux établissement « Le Phare », sur la Place Maréchal Ferdinand FOCH à Liège.  



 

Cet immeuble mis en vente au n° 164 de la Rue de Visé (voir photo suivante), c’est une habitation particulière, mitoyenne de sa jumelle de droite et dotée d’un passage latéral sur la gauche. Ce passage la sépare de la boulangerie DAVID, (puis SIMENON, etc.. qui deviendra le restaurant Casa BORGHESE vers 1980). L’immeuble intéresse les DAMRY car sa situation leur paraît idéale.

 

En 1930, peu de librairies modernes dans la périphérie liégeoise, peu de voitures, pas d’autoroute, rien que des piétons, des trams, des bus ou des trains. Or, tout ce charroi défile au-devant cette maison de la Rue de Visé, véritable artère de la rive droite de la Meuse entre Liège et les bourgades de la Basse-Meuse. Commercialement parlant, cela semble raisonnable et prometteur !


 

1934 : le mardi 2 janvier, la Grande Librairie DAMRY ouvre ses portes au n° 164 de la Rue de Visé. C’était une habitation privée, transformée en immeuble à vocation commerciale : une baie a été percée en façade afin d’y ouvrir une large vitrine accueillant de très nombreux objets. Aux commandes : Jules DAMRY (le fils de Victor-le-pionnier) et son épouse Alberte (dite Berthe) MARÉCHAL. Bien entendu, le père Victor vient prêter main forte au jeune couple afin de mettre le commerce, d’emblée, sur la bonne orbite.

 

Le client peut y trouver maints articles : les journaux locaux, nationaux ou internationaux, une foule de revues diverses ou autres illustrés, livres anciens ou contemporains, etc. Il y a même une bibliothèque. C'est le quatrième site commercial de la lignée DAMRY.

 

L'ex-librairie DAMRY au 164 Rue de Visé

 

 

 

Jules DAMRY et son épouse Alberte MARÉCHAL travaillent ensemble. Le mercredi 2 octobre 1940, il leur naît un fils qu'ils prénommeront Victor. Le choix du prénom évoque immédiatement celui du grand-père fondateur, celui qui, dès 1899, avait repris l’aubette du vieux LUCAS, dans la Rue des Anciennes Houblonnières (ex-Rue de la Station avant 1977) afin de lancer son commerce de journaux, une première fois.

 

Victor DAMRY (le grand-père fondateur) décéda le mardi 25 décembre 1945, le jour de la Noël ; il avait 71 ans et était veuf depuis 10 ans. Tout le village avait pour lui la plus grande estime.

 

Après la guerre 1940-1945, le commerce des DAMRY-MARÉCHAL marche bien. Pour satisfaire leur clientèle de plus en plus dense et exigeante en publications diverses, ils remiseront la "tchèrète a tchin" et auront recours à plusieurs porteurs.

 

Servais HOUVELEZ rappelle la célébration du jubilé de la librairie en 1949, elle a 50 ans. Il évoque le grand rassemblement des clients à la librairie et la fête organisée à la Taverne des Alliés (ancien site où s'établirent les Pères Minimes au 18e siècle, devenu actuellement salle paroissiale), juste à côté de l’église Saint-Amand. Il mentionne la présence d’un des premiers clients de la librairie, un certain Arthur LEJEUNE, affublé du sobriquet « Warlokê = billot ou pièce de bois».

 

1956 : le lundi 2 juillet, quelques mois avant ses 16 ans, le jeune Victor DAMRY est intégré dans le commerce. Servais HOUVELEZ le décrit comme étant un garçon sympathique et doué pour la marche (… cela va servir). Comme son père Jules, qui avait reçu l’aide de son père Victor pour lancer son commerce dans la nouvelle librairie de la Rue de Visé, le jeune Victor recevra l’aide de ses père et mère pour tenir la librairie pendant qu’il accomplissait, à vélo au début, la distribution des journaux qu’il avait reçus par un véhicule de messagerie dès la fine pointe de l'aube. La tournée de distribution durait plusieurs heures.

 

Après sept ans de gestion de la librairie par le jeune Victor et ses parents, une nouvelle personne va y apparaître. En 1963, le libraire épouse Marie-Thérèse FOLGNER, une jeune Liégeoise née le 27 juillet 1943, elle n’était ni libraire, ni fille d’indépendant. Avec élégance, charme et discrétion - le Tout-Jupille est unanime - elle va s’investir et va aider son mari à soutenir la réussite du commerce. Le couple DAMRY-FOLGNER aura deux enfants : Jean-Marc né en 1964 et Aline née en 1967. C’est également en 1967 que Marie-Thérèse DAMRY-FOLGNER décide d’accroître l'assortiment des articles qu’elle vend à sa clientèle en offrant, dorénavant, des produits de papeterie et de modélisme.   

 

Un commerce, c’est un labeur de tous les instants : trier, ranger, servir, compter, astiquer, élargir les débouchés, avoir un bon mot pour chacun, etc. On ne mesure pas immédiatement combien Victor DAMRY tente d’accroître son marché lors de ses tournées. Ainsi, les entreprises environnant son commerce reçoivent sa visite afin de tenter d'y établir un point de contact qui lui permettra d’y nouer une future relation commerciale : par exemple, en y reprenant les billets de loterie, en fournissant les bandes dessinées ou autres albums à l'occasion de la Saint-Nicolas des enfants du Personnel, les pronostics en foot-ball ou les bulletins du loto. Pendant que l'époux fait la tournée de distribution des journaux et périodiques, l'épouse ouvre le magasin très tôt afin de ne pas rater la clientèle matinale en répondant à la diversité des demandes. En outre, elle a le souci des enfants, du petit-déjeuner, de l’école, des devoirs et des exigences contraignantes de tout ménage. Les DAMRY-FOLGNER étant des gens charmants, ils avaient de bons et précieux voisins !

 

En 1971, l’encore et toujours très beau magasin de Jupille, comme le disait Servais HOUVELEZ dans sa lettre d'avril 1956, va s’agrandir vers l’arrière de l’immeuble en empiétant sur le domaine privé du ménage (c’est la partie au-delà des caisses enregistreuses, pour celles et ceux qui connaissent la topographie des lieux). De nouvelles étagères modernes vont être fixées aux parois afin d'y exposer les publications toujours plus variées et nombreuses.

 

En permanence sur le qui-vive afin d’accroître leurs débouchés, le couple DAMRY – FOLGNER va ouvrir un deuxième point de vente à la caserne dite Quartier de CUYPER – BENEIST, 1 Rue Cahorday à Saive. Pendant 20 ans, de 1974 à 1994, les militaires purent acheter des articles DAMRY dans le local que partageait également l'Office de Relations Publiques, dit l'O.R.P. Les restructurations au sein de l’armée belge mettront un terme à l'existence de ce point de vente.

 

Le 30 mars 2002, après 46 ans de tournées pour lui et 39 ans de librairie-papeterie pour elle, Victor DAMRY et son épouse Marie-Thérèse FOLGNER interrompent leurs activités et remettent leur commerce au jeune couple que forment Olivier TIBO, né en 1979, et Maryse PIRE, née en 1981. Transmission feutrée lors de laquelle le couple partant répondit toujours présent afin de fournir suggestions, aides et conseils aux couples de jeunes repreneurs, comme cela s’était déjà fait au cours des reprises d’activités entre les trois générations du lignage des DAMRY.

 

Rideau rouge sur 103 ans de lecture grâce aux trois générations de libraires DAMRY à Jupille-sur-Meuse


 

Texte et mise en page : Octave WARZÉE ;

Relecture : Ida DETILLEUX ;

Photos : Jean-Pierre DEMEUSE et Octave WARZÉE ;

Webmaster : Alfred JAMIN.

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22 février 2019 5 22 /02 /février /2019 12:08

 

Avant sa parution sur le blog de la CHL, cet article a fait l'objet d'une publication sous la forme d'une brochure en juin 2018, brochure offerte à toutes les personnes qui ont contribué à sa réalisation.

 

Vue aérienne de la Place Gilles ETIENNE en 2014

 

Des suggestions vagues d'abord puis de plus en plus précises, ensuite des conversations suivies d'un consensus entre édiles communaux et quelques résidents du lieu au printemps 1931. Ils étaient tous spectateurs de la naissance prometteuse du nouveau quartier des Bruyères, naissance qui requérait de toutes nouvelles idées d'urbanisme pour les prochaines générations d'habitants. De ce bouillon d'effervescence, va surgir un projet qui tracera les limites d'une nouvelle et grande place publique, un lieu de rencontres et de parlottes ô combien nécessaires et vivifiantes pour une communauté attendue, une nouvelle agora.

 

De l'ancestral "Trô dès Tchèts = Trou des chats", vont surgir 5.000 m²/50 ares s'alignant en un long rectangle bordé de commerces, de logements collectifs et de maisons unifamiliales. De ces immeubles, les résidents vont sortir, se parler et conviendront de se retrouver sur la nouvelle place à la fin du mois d'août afin d'y "faire la fête". Vieille tradition propre à la paroisse de Bois-de-Breux : la fête s'ouvre au début août chez les "Djoyeûx d'Bwès-d'Breux =  Joyeux de Bois-de-Breux" et se termine à la fin août chez les "Anoyeûx dès Bruwîres = Tristounets des Bruyères".

 

Fondé le S. 10 juin 1922, le cercle royal "Bruyères-Attractions" trouvera, sur la Place Gilles ÉTIENNE (après la Rue de Bois-de-Breux), l'espace nécessaire aux installations foraines pour y ouvrir la fête du quartier dès la fin août 1931.                                    

Historique de la Place Gilles ÉTIENNE à Jupille-sur-Meuse.


 

Dans le domaine de la cartographie militaire, qui est la plus détaillée, l'atlas du général d'artillerie Joseph-Johan-Franz de FERRARIS (1726-1814) est une référence de tout premier ordre concernant l'ampleur du territoire couvert (les Pays-Bas autrichiens, donc la Belgique actuelle) et la précision du trait et des logogrammes de l'esquisse. Reconnu par ses pairs pour des plans antérieurs, le cartographe de FERRARIS exigeait que ses artilleurs aient suivi une formation de géomètres-arpenteurs afin qu'ils reproduisent sur papier la plus exacte définition des lieux en se servant d'instruments de mesure adéquats et de formules mathématiques. Sur ces cartes datant de 1777, les immeubles apparaissent en rouge, les silhouettes d'arbres sur fond vert désignent les vergers/pâturages, les chemins sont délimités par des haies ou arbustes, les sentiers sont coincés entre deux traits fins et les surfaces en clair représentent des jachères ou des cultures. Les chiffres en rouge précisent l'adresse paroissiale du territoire : le 8, au centre de la carte suivante, atteste que le territoire ainsi numéroté relève de la paroisse Saint-Amand à Jupille (une des plus anciennes paroisses de Belgique, fondée sous les Carolingiens vers l'an 800).

 

 

 

Extrait de l'atlas de FERRARIS : une partie des Hautes Bruyères à Jupille en 1777, l'habitat y est très clairsemé.

En 1) l'actuel cimetière de Robermont et la Rue des Coquelicots le longeant ; en 2) l'amorce du sentier partant de l'angle droit formé par les Rues de Pilzen et des Fagnes (là sourdait le ruisseau du Fond Crahay) et s'ouvrant dans la Rue des Coquelicots, les immeubles présents relevaient de la paroisse de Saint-Remacle-au-Pont en Amercœur, ce sentier se dirigeait vers le couvent des Cisterciennes édifié dans le cimetière entre 1200 et 1793 ; en 3) ancien sentier tendu entre l'actuelle partie montante de la Voie MÉLOTTE (anciennement Rue des Bassins, aliénée suite à l'ouverture du chantier des T.E.C. en 1978) et le poste avancé des pompiers de la Rue BODSON (qui n'existe pas encore en 1777) ; en 4) partie actuelle de la Voie MÉLOTTE menant au Cimetière de la Bure ; en 5) site de la future Place Gilles ÉTIENNE et bâtiments agricoles massifs sur la droite (la précision du trait de contour est surprenante) ; en 6) site d'une ferme ancienne en retrait de l'actuelle Rue de Bois-de-Breux (au n° 387/389) exploitée par le couple Charles RASQUINET-Aline Van WISSEN au 20e siècle ; en 7) ancien bâtiment en retrait de la Rue des Pocheteux, futur domaine de la lignée des HERZÉ ; en 8) vieilles bâtisses en grès houiller occupée par le meunier qui avait son moulin à vent juste en face, sur l'autre versant de l'actuelle Rue des Pocheteux. Cet ensemble hébergera, entre autres, Jean RENSONNET, dit "Li dogueû = le cogneur", avant d'être détruite en 1984.

 

Cette partie de carte de l'atlas de FERRARIS est étonnante. Même si l'écart entre cette carte et aujourd'hui est énorme, quasi 250 ans, et riche de différences, on devine les exigences du terrain et on pressent les possibilités que l'urbanisation progressive va entrouvrir. Il est vrai que ce point 5 est déjà un point de convergence des voies existantes en 1777. Et, c'est tout aussi vrai que cette convergence prédétermine ce site et lui assigne, le cas échéant, vocation à devenir une place publique. L'occasion surgira un siècle et demi plus tard, au printemps 1931.

 

Au cours des 620 pages de ses 3 tomes intitulés "Bois-de-Breux – Tradition", Laurent NISSEN (1928-2016, résidant Place Gilles ÉTIENNE) évoque cet endroit sur lequel apparaîtra la future Place Gilles ÉTIENNE. Jadis, c'était un lieu sans forme bien définie, en pente douce, au bas duquel se trouvait un modeste emplacement que les rares habitants du lieu désignaient comme étant "li pêrê = le petit parc, la place publique, le point de convergence selon Jean HAUST" (à Seraing, les élus communaux sont partis de ce vieux mot wallon pour le transformer de "pêrê" en Pairay et en faire la dédicace d'une rue et d'une place). En 1777, l'habitat y était des plus épars, seule l'activité d'une grosse ferme juchée au sommet de la pente était rythmée par la succession des saisons. Lorsque la nature commande aux chats de se reproduire, les nuits transformaient le "pêrê" en une salle de concert pour feulements violoneux et sinistres de félins énamourés. Et c'est en raison de ces lugubres sérénades, sur fond de secrétions hormonales, que fut décernée au "pêrê" la rustique dédicace de "Trô dès Tchèts = Trou des Chats" (également "chatière" selon le Dictionnaire Liégeois de Jean HAUST).

  

À l'heure des offices religieux, les tintements essoufflés des cloches de la très vieille église Saint-Amand de Jupille et de la branlante chapelle Notre-Dame de Lorette à Bois-de-Breux (1683) survolent le hameau en haletant. Au "Trô dès Tchèts", pas le moindre sanctuaire, pas d'oratoire, pas même une seule croix à l'angle d'une maison ou de deux chemins pour rappeler une disparition violente et inopinée (la croix la plus proche était située dans l'actuelle Voie des Bouviers, fixée sur une colonne en briques à l'avant du n° 14. Cette croix a disparu à la fin de 1989, elle portait la mention "Don de Henri MATHOT – 1812"). Il faudra attendre que la jeune paroisse de Bois-de-Breux (fondée en 01/1840) marque ses limites en faisant édifier une chapelle dédiée à la Vierge Marie, en 1845, en haut du "pêrê", en face de la grosse ferme. Le propriétaire terrien HERZÉ va donner quelques mètres carrés afin d'y élever l'oratoire qui sera modernisé en 1945 par le percement de deux baies latérales et l'élargissement des portes qui perdront leur arc en plein cintre. Le D. 25 juin 1989, une nouvelle croix fut plantée sur la pointe du toit.


 

Quelques quatre-vingt-huit ans après l'atlas de FERRARIS de 1777, une seconde référence cartographique s'impose : le plan POPP datant de 1865. Philippe-Christophe POPP (1805-1879) est reconnu pour la qualité de son plan cadastral parcellaire de Belgique : la finesse du trait, les notes, la toponymie, les immeubles, etc. Sur la carte suivante, il est superflu de rechercher l'actuelle Rue de Bois-de-Breux, il faudra attendre 1886 pour qu'elle devienne opérationnelle et désignée comme étant la "voie de grande communication entre Jupille et Grivegnée" ou la "nouvelle route des Bruyères". Les chemins Collée (altération de COLLEYE de la Rue Baille COLLEYE) et du Fond Crahay tracés sur cette carte devront subir une légère translation vers l'est lors du traçage/alignement de la Rue de Bois-de-Breux qui sera dédicacée le 27 juillet 1912.  

 

 

Atlas cadastral de Philippe-Christophe POPP (1865) : Jupille, une partie du hameau des Hautes Bruyères.

En 1) en vis-à-vis du "pêrê", site ancien bâti à l'endroit des commerces présents en 2018 (librairie, boulangerie et épicerie) dans le bas de la Place Gilles ÉTIENNE ; en 2) site bâti qui hébergera plus tard la droguerie OTTO à l'angle des actuelles Rues de Bois-de-Breux et de Pilzen ; en 3) la Chapelle des Bruyères datée de 1845, dédiée à la Vierge (entre les n° 3 et 5, le passage du "golèt") ; en 4) la Voie MÉLOTTE (rejoignant aujourd'hui le Cimetière de la Bure) ; en 5) l'espace désigné "pêrê" qui deviendra la partie basse de la future Place Gilles ÉTIENNE ; en 6) l'ancienne ferme de l'actuelle Rue de Bois-de-Breux (n° 387/389) exploitée par le couple Charles RASQUINET-Aline Van WISSEN au 20e siècle ; en 7) l'ancienne ferme des HERZÉ, propriétaires terriens et en 8) la grosse ferme où résidera le couple propriétaire Gilles ÉTIENNE- Élisabeth TRUILLET aux 19e et 20e siècle.

 

À l'observation de cette épure, on comprend immédiatement que la réputation de son auteur n'est pas surfaite : le trait est fin, les écritures sont parfaitement lisibles, nous sommes aux Hautes Bruyères à Jupille-sur-Meuse, par opposition aux Bruyères longeant la Rue de Gaillarmont séparant les ex-communes autonomes de Grivegnée et Chênée.

 

Au milieu du 19e siècle, deux événements HP (à "haut potentiel" disent les statisticiens) se déroulent aux alentours : il s'agit de deux naissances. Chez le couple formé par Étienne ÉTIENNE et Jeanne RENSON de Jupille, un fils est né le 21 juin 1852, il porte le prénom de Gilles (il décédera le 26 octobre 1936 à 84 ans). À Beyne-Heusay, chez le couple formé par Lambert TRUILLET et Marie-Françoise GRÉGOIRE, une fille est née le 4 janvier 1853, elle porte le prénom officiel d'Élisabeth auquel se substituera Babette pour les intimes (elle décédera le 13 février 1923 à 70 ans). Gilles et Élisabeth se marieront à Beyne-Heusay le 31 mai 1879 (archives Louis PÂQUE) : lui est défini comme armurier, elle est marchande de lait, issue d'une lignée d'agriculteurs dont le patrimoine serait substantiel. Et le ménage ira résider, notamment, au Lhonneux à Chênée (sur le Quai Henri BORGUET, entre les actuelles Rues de la Révision et Vieilles-Terres selon les archives notariales de Dominique LECLOUX).

 

 

 

Gilles ÉTIENNE (1852-1936) et Élisabeth TRUILLET (1853-1923)

 

L'exploitation agricole semble profitable, le travail est ardu mais rémunérateur, les dépenses sont sous contrôle et l'épargne s'accumule. Pour les ÉTIENNE-TRUILLET, le printemps 1904 va bouleverser les données et leur conférer une appréciable notoriété. Par achats successifs aux GEORGES en mars et aux JOASSART/VANORMELINGEN en avril, le couple acquiert le domaine en amont du "pêrê", la superficie de l'ensemble frise les 8 hectares (le domaine faisait partie de la succession léguée par une certaine Élisabeth DEFRESNE ; cette dernière avait épousé Nicolas JOASSART avec lequel elle avait eu 5 enfants, devenue veuve, elle épousa Libert VANORMELINGEN avec lequel elle aura 6 enfants ; cette dame, détentrice d'un patrimoine important, décéda le 3 février 1896 ; une première vente aux enchères échoua le 30 novembre 1896, une seconde en 1904 fit le bonheur des ÉTIENNE-TRUILLET - source : archives notariales de Dominique LECLOUX).

 

En mai 1904, l'épouse accepte de léguer à son époux l'entièreté de son patrimoine par un acte de donation. Désormais, Gilles ÉTIENNE est devenu un notable. En haut du "pêrê", il est propriétaire, entre autres, des parcelles numérotées 939 et 940d (voir carte POPP). Les époux ÉTIENNE-TRUILLET résident dans la partie droite de l'ensemble (l'actuel n° 31), ils délaissent progressivement les tâches agricoles qu'ils confient à des fermiers/métayers hébergés dans la double bâtisse en recul (n° 27/29) coincée entre le n°31 et les annexes  (ces annexes, situées à hauteur de l'actuel n° 25, seront détruites à la fin de la guerre 1940-45). En avril 1923, le dernier couple de fermiers, formé par Joseph LIZEN (lire LIZIN, 1868-1933) et son épouse Joséphine (dite Mélanie) DETHISE, investit les lieux, ils viennent de Grand-Han (Durbuy). Devenue veuve en 1933, Joséphine LIZEN-DETHISE devra quitter les lieux avec ses quatre enfants en mars 1938 après une vente aux enchères du domaine, elle décédera en 1955.



 

Après la guerre 1914-1918, les mandataires communaux jupillois voient se confirmer les tendances centrifuges lors des choix de résidences des habitants. Les hameaux des Bruyères et des Houlpays sont de plus en plus souvent convoités. Pareils débats avaient déjà présidé les négociations relatives au choix de l'implantation du nouveau cimetière aux Bruyères à la fin des années 1890. Le traçage de la "voie de grande communication entre Jupille et Grivegnée" (c'est l'actuelle Rue de Bois-de-Breux) remonte à 1886 : c'était un signe prémonitoire.



 

Quelle image le "pêrê" pouvait-il présenter au début des années 1920 ?

 

Nous l'avons dit précédemment : le "pêrê", c'est un modeste promontoire, de forme vaguement triangulaire, il se trouve au point de convergence de nombreuses voies et son centre est vierge de toute bâtisse. Néanmoins, quelques immeubles ou projets d'immeubles le circonscrivent.

 

À la base du triangle, sur le site d'un ancien bâtiment, le long de la nouvelle route des Bruyères (actuelle Rue de Bois-de-Breux), deux couples, dont les épouses sont sœurs, vont ériger un nouvel immeuble qui hébergera deux commerces aux numéros 262 et 264 actuels :

 

  • Au 262 (actuel), le premier commerce est celui du couple Albert WILMOTTE/Barbe THONNART qui y tiendront une épicerie jusqu'à 1924, année lors de laquelle leur fils, également prénommé Albert, et son épouse, Gérardine BERNARD, abandonneront l'épicerie pour y ouvrir une boulangerie que leur fille, Juliette (dite Liette), gérera avec succès jusqu'à juin 1995 avant de la remettre à Xavier et Arlette WILKIN.

 

  • Au 264 (actuel), le second commerce est celui du couple Joseph ROUYR/Marie-Catherine THONNART (la sœur de Barbe du couple précédent). Ils y tiendront à la fois café, charcuterie et … boucherie jusqu'à l'amorce des années 1960 avec l'aide de leur fille Barbe (leur fils Pierre et son épouse Jeanne NAVAL ouvriront une boucherie-charcuterie voisine du Baty à Beyne-Heusay).

En 1963, l'immeuble est racheté par le couple Valentino CORSI/Concetta COPPOLA qui vont y fabriquer et vendre de la glace (à l'italienne, faut-il le dire !) : l'épouse reste au comptoir alors que son époux sillonne les rues du quartier avec sa "charrette", comme il le faisait précédemment à Grivegnée. En 1969, Concetta diversifie son offre et aborde le domaine des lasagnes, raviolis et autres cannellonis (elle achetait la viande à la boucherie du couple François CAREMME/Marguerite GIET au n° 274 de la même rue). En 1974, le couple CORSI-COPPOLA remet son commerce au couple Biago BASTIANELLI/Maria PELINO qui le remettra à son tour en 1984 au couple Guy DONATI/Rita TAMBURINI auquel succédera leur fille Carole jusqu'en 2013.

 

Dès 1967, lorsque les nouveaux logements de la Cité André RENARD ont accueilli leurs premiers résidents, la boulangère Juliette WILMOTTE et son époux Mathieu TONKA (du 262) ont sacrifié leur living afin d'y ouvrir une librairie pour servir ces nouveaux habitants. Après les PECHEUR-STAS, après Colette TONKA et les PASLEAU, Éric JENNEN reprit cette librairie en 2009 ; il y est resté jusqu'en mars 2014 avant de s'installer sur la gauche de la boulangerie, au 264 actuel, dans les locaux des anciens commerces italiens de produits de bouche aux mains des CORSI, BASTIANELLI et DONATI, qui, du début des années 1960 à 2013, avaient pris le relais de l'ancien café-charcuterie-boucherie des ROUYR-THONNART. Depuis mai 2014, le premier site de la librairie est devenu une épicerie dédicacée "Chez Jeannot".

 

Le café-charcuterie des ROUYR-THONNART vers 1930 (actuel 264). Sur la gauche, à l'amorce de l'actuelle Voie MÉLOTTE, la charrette pour les tournées du charcutier, puis un immeuble de  la Rue BODSON et, à l'arrière-plan, la chaudronnerie BAILLY-MATHOT. Sur le seuil, Marie-Catherine à côté de son époux/fils et derrière sa fille. À l'arrière du mur portant les cages à pinsons, il y avait des appentis pour les animaux dont les heures étaient comptées avant d'être transformés en boudins ou saucisses.

 

 

Vue complète du site en 04/2018 : à gauche, l'amorce de la Voie MÉLOTTE ; ensuite en glissant vers la droite, le mur qui masquait les appentis des animaux en sursis, mur modifié par le cimentier Joseph LEMOUCHE vers 1938/39, puis l'ancien café-charcuterie des ROUYR-THONNART devenu la "Librairie de la Place" après l'intermède des produits de bouche des CORSI/BASTIANELLI/DONATI,  puis l'ex-épicerie WILMOTTE devenue boulangerie WILMOTTE en 1924 puis WILKIN en 1995 et, pour terminer, l'ancienne librairie devenue l'épicerie "Chez Jeannot".

 

 

Un troisième immeuble était également présent au cours de ces années 1920, il s'agissait de la résidence du couple Jean et Marie HABRAN-HERZÉ et leurs filles, sise à l'angle inférieur droit du "pêrê", en vis-à-vis de l'entrée de l'actuelle Voie MÉLOTTE (il porte le n° 411 dans la Rue de Bois-de-Breux). Ces maisons hébergent des familles qui, en quelque sorte, sont les pionnières  d'un mouvement migratoire qui va amener des personnes d'horizon ô combien variés à prendre la direction de cet ancestral "pêrê" et d'y fixer définitivement leurs racines. Quant au projet du menuisier Alfred FRANCK d'ériger, sur son terrain, un atelier pour ses fils et un magasin-buanderie pour son épouse, rien n'émerge encore de la surface de la prairie. Cette bâtisse sera finalement construite à l'amorce des années 1930 et est située à l'actuel n° 2 de la Place Gilles ÉTIENNE. Après transformation, une épicerie, tenue d'abord par les sœurs Hélène et Guillemine MAGERMANS, s'y ouvrira peu après la 2e guerre. Ces deux dames venaient d'un premier commerce qu'elles avaient tenu en face de la ferme de leurs parents et frères, ferme située Rue de Bois-de-Breux, à hauteur approximative de n° 206.

 

Ces familles vont en côtoyer d'autres, lors de déplacements, lors de travaux divers ou de rencontres dans les commerces locaux. Des salutations s'échangent et des conversations s'échafaudent, l'être humain est souvent un être sociable. Ainsi, se connaissent bien sûr les commerçants qui viennent d'être cités mais s'y ajoutent les ÉTIENNE-TRUILLET, rentiers-propriétaires de la grosse ferme en haut du "pêrê" depuis 1904, et leurs métayers depuis 1923, les LIZEN-DETHISE, ensuite les HERZÉ-VINCENT, propriétaires d'une importante surface de culture située à l'arrière de l'actuel n° 141 de la Rue des Pocheteux (dont l'arrière-grand-père avait donné quelques mètres carrés pour édifier la chapelle en 1845), les LASSAUX-ABRY (prédécesseurs des frères et sœurs JONGEN) dont la ferme est située au n° 60 de l'actuelle Rue des Pocheteux (face à la Rue du Commandant Marcel SPEESEN), les PAQUET de la fermette au n° 88 de la Rue de Pilzen et les THONNARD père et fils de Sur-les-Moulins (devenue Voie des Bouviers). Ces derniers ont la réputation de détenir un grand pouvoir de conviction et une maîtrise certaine dans le domaine de "gérer" l'événement.

 

 

La partie bâtie du domaine du couple Gilles ÉTIENNE/Élisabeth TRUILLET en haut du "pêrê" : à gauche, les arbres/haies et la moitié de l'immeuble n° 25 se trouvent à l'endroit des annexes agricoles abattues vers 1945 ; au centre le n° 27, la résidence du ou des fermiers du couple ; à droite le n° 31, la résidence du couple (photo 04/2018).


 

Au hameau des Bruyères à Jupille en ces années 1920, les sujets de conversation gravitent autour de la paix retrouvée suite à l'armistice et la fin des misères générées par la guerre 1914-1918, de la pluie et du beau temps desquels sont soucieux tous les professionnels de la terre et des distances longues à parcourir pour conduire les enfants à l'école et fréquenter les offices religieux. Et, c'est vers les écoles et l'église du hameau de Bois-de-Breux à Grivegnée que se dirigent ces Jupillois, … retour d'ascenseur pour le soutien que la toute jeune paroisse de Bois-de-Breux (fondée en 01/1840) avait manifesté en 1845 à l'égard de l'édification de la chapelle dédiée à la Vierge, au bout du passage étroit dénommé "golèt", à l'amont du "pêrê" (altération de "golète" : entrée en entonnoir selon le Dictionnaire Liégeois de Jean HAUST, s'apparente à goulet, goulot ou goulotte de la langue française).

 

Mais à Bois-de-Breux, il y a aussi la fête paroissiale. Elle couvre tout le mois d'août et la rumeur populaire dit qu'elle s'amorce chez les "Djoyeûs d'Bwès-d'Breû = Joyeux de Bois-de-Breux" et se termine chez les "Anoyeûs dès Brouwîres = Tristounets des Bruyères".



 

Et le calendrier nous servit le samedi 10 juin 1922.

 

C'est ce jour-là qu'a été fondé le Cercle "Bruyères-Attractions". Ce groupe festif a été créé par une douzaine de personnes qui se réunissaient depuis plusieurs semaines. Ils envisageaient de réaliser une fête aux Bruyères à la fin août en s'inspirant de la tradition de la fête paroissiale de Bois-de-Breux qui avait repris très modestement dès 1920, après une suspension de 6 ans pour faits de guerre. Parmi ces douze fondateurs, trois se démarquent, il s'agit de Barthélemy (dit Biètmé) DESSART, de Jean LASSAUX et du jeune Jean THONNARD (1903-1986, il n'a pas 20 ans, il sera l'homme de la situation du cercle, tant sur le plan festif que caritatif ; fidèle à la devise "Plaisir et Charité" du cercle, j'ai vu Jean THONNARD parcourir inlassablement les rues du hameau des Bruyères jusqu'à la fin des années 1970 ; il collectait, menu et voûté, afin de pouvoir offrir quelque argent aux protégés du cercle qu'étaient les poliomyélitiques en poumon d'acier soignés à l'Hôpital de Bavière et aux Murlais ; il confiait la tenue des livres de comptes à son épouse Élisa (dite Lisa) ADAM (1904-1985).

 

À la dédicace du cercle, le trio ajoute la devise "Plaisir et Charité", le localise à Jupille et, plein d'humilité, va solliciter Gilles ÉTIENNE afin qu'il accepte la présidence d'honneur. Bingo ! Gilles ÉTIENNE est consentant et permet aux forains, dès l'été 1922, de s'installer gratuitement sur ses terres et, plus précisément, sur le côté méridional de la Rue de Bois-de-Breux, là où son fermier, Joseph LIZEN, met ses bêtes en pâture entre les actuelles Voie MÉLOTTE et Rue BODSON. Cette démarche permet à "Bruyères-Attractions" d'esquiver toute menace de taxes communales à l'égard de quiconque usant du domaine public.

 

Les débuts de la fête aux Bruyères furent modestes. Néanmoins, année après année, il apparut aux organisateurs que les forains présents demandaient à revenir, que d'autres souhaitaient s'y adjoindre et que le nombre de visiteurs allait croissant. Cela exigeait de plus en plus de constance et de moins en moins d'improvisation de la part des organisateurs. Un document (à la p. 196 du tome III de "Bois-de-Breux – Traditions" de Laurent NISSEN) daté du 2 décembre 1930 atteste que Gilles ÉTIENNE a même donné son accord par période de trois ans afin de permettre aux différents acteurs d'envisager l'avenir à moyen terme. Si ce n'était pas de la bonne volonté, qu'était-ce ?

 

Mais, cela ne pouvait s'éterniser, le métier de fermier/agriculteur ne pouvait s'accommoder de certaines tâches dont la répétition allait rapidement devenir fastidieuse voire insupportable : le transfert/éloignement du bétail vers d'autres zones de pâturage, l'arrachage/démontage puis la pose/réparation des clôtures, le recours systématique aux chevaux du fermier pour déplacer les charges lourdes, le comblement de profondes ornières dans les terres gorgées d'eau au départ des forains, etc. Le tout aux frais du fermier. Comprenant ces doléances, les représentants de "Bruyères-Attractions" sollicitent à nouveau Gilles ÉTIENNE afin qu'il prête ses terrains entre la chapelle et le "pêrê" pour permette aux forains de quitter la Rue de Bois-de-Breux. Nous sommes à la fin des années 1920, Gilles ÉTIENNE les reçoit en leur disant qu'il se sent devenir vieux (il est veuf depuis le 13 février 1923 et il a plus de 75 ans), qu'il souhaite quitter la présidence d'honneur et qu'il est prêt à leur donner quelques ares  de terre pour la fête.

 

En termes clairs, ce que demande "Bruyères-Attractions", c'est de pouvoir disposer des parcelles 939 et 940d (voir carte POPP). Dit autrement, cela se traduirait par un agrandissement du "pêrê" et par la suppression du caillouteux sentier du "golèt" entre deux terres appartenant à Gilles ÉTIENNE.

 

À la Maison communale au n° 59 de la Rue Chafnay, le bourgmestre Joseph PRÉVERS, les échevins Joseph MOUTSCHEN et Henri WARNANT, les conseillers (6 socialistes et 5 catholiques) et l'administration suivent ces événements aux Bruyères avec beaucoup d'attention. C'est déjà par leur entremise que des ouvriers communaux avaient transféré à la brouette, en juillet 1923, des terres provenant du nouveau cimetière vers le "pêrê" pour l'aplanir ; c'est également eux, les représentants communaux, qui avaient suggéré la pose d'un éclairage public le long de la Rue de Bois-de-Breux.  Les élus savaient mieux que quiconque que le hameau des Bruyères vivait une mutation qui allait le transfigurer et donner davantage d'espace et de consistance à la commune car le hameau est bien situé à l'intérieur des limites communales de Jupille-sur-Meuse (limites fixées laborieusement vers 1850 ; Jupille compte 7.172 habitants au recensement de 1926) ; même si, en 1845, la paroisse de Bois-de-Breux le considérait comme faisant partie de son aire … paroissiale. Il y a ici matière à écouter, à proposer et à décider !


 

Comme tout citoyen jupillois, il m'est arrivé de me rendre à la nouvelle Maison communale au n° 2 de la Place HAVART (j'ai très peu connu l'ancienne au n° 59 de la Rue Chafnay). Et là, j'y ai rencontré une personne qui, d'emblée, a attiré mon attention. Le hasard m'a permis un jour de l'aborder, il m'a raconté sa vie, il s'appelait Maurice MELCHIOR (1920-1994). J'aimais l'entendre, nous sommes devenus complices. C'est par son intermédiaire et sur ses conseils que j'ai pu accéder aux archives communales et me diriger vers le n° 9 de la Rue VELBRÜCK. Cela m'a permis de prendre des notes, au hasard des mots qui me parlaient. J'ai sérié ces notes et je les ai relues afin de remonter le temps de la Place Gilles ÉTIENNE. Tout cela, grâce à Maurice MELCHIOR.

 

Aux Bruyères à Jupille, le cap de 1930 vient d'être franchi. Aux alentours du "pêrê", des résidents se voient régulièrement et nouent des contacts. Parmi ces personnes, il y a Gilles ÉTIENNE le rentier-propriétaire, Jean THONNARD le président du Cercle "Bruyères-Attractions", Louis LASSAUX de la Rue des Pocheteux, Joseph LIZEN le fermier de Gilles ÉTIENNE et Jacques LEMAIRE, devenu conseiller communal effectif depuis octobre 1927 suite à la démission de son prédécesseur. Ces gens se voient, devisent de choses et d'autres et Jacques LEMAIRE fait son boulot de conseiller.  

 

Quelques dates-clés extraites des archives communales.

 

  1. Le 26 mars 1930, le Conseil communal est informé que le bourgmestre Joseph PRÉVERS est malade. Sa maladie est sérieuse au point d'exiger que des réunions se déroulent à son domicile et que le premier échevin, Henri WARNANT, le remplace et fasse office de bourgmestre faisant fonction ;

  2. Le 6 janvier 1931, le Cercle "Bruyères-Attractions" (qui est une association de fait) sollicite le Collège échevinal afin qu'une nouvelle place publique soit dégagée à l'endroit du "pêrê". Le collège se rend sur place le 25 janvier et y rencontre les membres du cercle ;

  3. Le 7 février 1931, "Bruyères-Attractions" sollicite le Conseil communal afin qu'une nouvelle place publique soit ouverte à l'endroit du "pêrê". Cette place serait dédicacée "Place des Bruyères". Le Conseil communal acte la démarche du Collège sur site le 25 janvier précédent et le dépôt d'un avis favorable dudit Collège ;

  4. Le 19 mars 1931, le Collège approuve le principe d'achat de terrains sur le "pêrê" ;

  5. Le 5 avril 1931, le Conseil communal est informé que Gilles ÉTIENNE consentirait à vendre à 15 fr/m² les 26,55 ares repris sur les plans dressés par le directeur technique de l'administration communale (il y a donc un plan, un projet d'achat de terrains par la commune pour ouvrir un nouvel espace et on ne parle plus de "donner quelques ares" comme dans le dernier paragraphe de la page 8) ;   

  6. Le 21 avril 1931, jour du décès de Joseph PRÉVERS, le Conseil communal se réunit afin d'organiser les obsèques. Le bourgmestre faisant fonction, Henri WARNANT, deviendra bourgmestre effectif, il perdra son mandat de premier échevin qui sera attribué à Jacques LEMAIRE, élu conseiller depuis octobre 1927 ;

  7. Le 30 juillet 1931, le Collège échevinal définit les étapes de la prochaine inauguration de la nouvelle place aux Bruyères et dévoile qu'elle sera dédicacée à "l'identité du propriétaire des terrains", elle deviendra la "Place Gilles ÉTIENNE". Le Conseil communal confirme les faits lors de sa réunion le 29 août suivant et les reconfirmera une fois encore lors de sa réunion du 24 septembre 1932 ;

  8. Le 14 mai 1932, le Conseil communal déclare craindre de longues négociations concernant certaines emprises à réaliser avec d'autres riverains que Gilles ÉTIENNE. Or, les plans d'alignement de la future place dépendent de ces emprises, d'où retard à prévoir ;

  9. En mai 1937, dans le cadre du règlement de la succession de Gilles ÉTIENNE (décédé le 26 octobre 1936), les plans du géomètre Hubert DEFRÈRE de Bois-de-Breux annoncent que les emprises prévues pour les alignements de la nouvelle place atteignent 31,45 ares (soit 6 ares en plus qu'au point 5) ;

  10. En avril 1954, le Conseil communal émet le vœu d'acheter un terrain à l'Immobilière BERNHEIM (qui avait racheté la succession des ÉTIENNE-TRUILLET en 1937) afin d'y installer une cabine électrique de l'Association Liégeoise d'Électricité (A.L.E) ;

  11. En août 1954, le Conseil communal envisage l'établissement d'un chantier de la Société Régionale d'Habitations à Bon Marché du Canton de Grivegnée dans le haut de la Place Gilles ÉTIENNE (chantier qui ne s'ouvrira que 10 ans plus tard) ;

  12. En octobre 1967, les immeubles se multiplient aux abords de la Place Gilles ÉTIENNE, le Conseil communal décide que chacune des deux voies sera mise en sens unique. Au total, l'espace dégagé fait 150 m de long pour une bonne trentaine de large, soit 50 ares (voir page de couverture).


 

La boucle est bouclée : nous le savons maintenant,  la dédicace "Gilles ÉTIENNE" a été prononcée lors de la séance du Collège échevinal le J. 30 juillet 1931, peu avant son inauguration à la fin août. Cette dédicace a été confirmée en Conseil communal, lors de sa séance du S. 29 août suivant.

 

La tradition orale au hameau des Bruyères serine, de manière lancinante, que Gilles ÉTIENNE aurait donné ses ares de terrain à la condition sine qua non (si et seulement si) que la nouvelle place porte son nom. Les notes que j'ai relevées dans les archives officielles de l'ex-commune autonome de Jupille-sur-Meuse ne me permettent pas de confirmer ou d'infirmer le message transmis par la tradition. Les procès-verbaux peuvent être discrets ou mes notes incomplètes.

 

Il n'en demeure pas moins qu'un élément manque entre février et juillet 1931, entre la première dédicace "Place des Bruyères" et la dernière " Place Gilles ÉTIENNE". Une forme de "paix des braves" a pu se conclure entre les parties concernées : la commune, "Bruyères-Attractions", les forains et Gilles ÉTIENNE. Cet accord s'est imposé pendant des dizaines d'années et les termes de ce gentleman agreement ont régi les rapports entre personnes lors de la Fête aux Bruyères jusqu'à la fusion des communes au 1er janvier 1977, lorsque la Ville de Liège a exigé que la situation soit clarifiée.

Bibliographie :

 

  • Archives communales de Jupille-sur-Meuse ;

  • Bois-de-Breux – Tradition par Laurent NISSEN (3 tomes) ;

  • Historique de la paroisse de Bois-de-Breux par Félix-Mathieu et Louis MARGANNE + compléments par Christian-Jean COLLARD ;

  • Recueil de notes personnelles, archives et souvenirs de Louis PÂQUE ;

  • Les Rues de Seraing par Eugène DOUNAN et Nicolas PIRSON.

 

Interviews et remerciements cordiaux à : Mmes et MM. Angèle AGOSTI-LENNARTS, Barbara BACHMES-KRZYKALA, David CORSI, Angela CUTILLO, François DELREZ, Jeannot DEMEULDRE, Bernadette DODRIMONT, Freddy DUCHÊNE et Bernadette BARÉ, Jean-Claude GRÉGOIRE, Éric JENNEN, Henri HERZÉ, Andrée et Marcel JONGEN, Dominique LECLOUX, Liliane LIZEN, Éric NISSEN, Louis PÂQUE, Bernadette RENNOTTE, Andrée ROSVOORT-FLAUSCH, Roger THOMSIN, Robert et Élisabeth TOMIELLO-FASSOTTE, Juliette WILMOTTE.


 

Texte, photos et mise en page par Octave WARZÉE

Mise en page sur notre blog Alfred JAMIN, webmaster.

Relecture par Ida DETILLEUX.

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29 décembre 2018 6 29 /12 /décembre /2018 09:01

 

 

               Armand MICHAUX à son bureau vers 1967

 

 L'enfance et la jeunesse d'Armand MICHAUX

 

 

Armand – Jules – Jean-Baptiste MICHAUX est né le mercredi 10 novembre 1926 au hameau de Bois-de-Breux sur les hauteurs de l'ex-commune autonome de Grivegnée. Le modeste immeuble occupé par la famille, dont Armand était le fils cadet, est situé sur la gauche en montant la Rue de Herve, quelques dizaines de mètres plus haut que l'ancien passage à niveau, juste avant l'école communale (cet immeuble existe toujours en 2018, c'est la pizzeria voisine du parking de l'école, il porte le n° 318).

 

Le père MICHAUX, Jules – Jean-Baptiste, exerçait ses activités professionnelles à la société anonyme des Charbonnages de Wérister, Rue Winston CHURCHILL à Romsée. Il y débuta en tant que mineur puis accéda au rang de chef porion (porion : substantif d’origine picarde signifiant contremaître dans une exploitation minière). Quant à la mère d’Armand MICHAUX, Marie KLEUDGEN, elle se consacrait exclusivement aux activités domestiques d'une famille qui comptait 3 garçons : Martin né en 1913, Jean né en 1924 et Armand né en 1926.

 

Fait étonnant : Marie MICHAUX - KLEUDGEN était affiliée au Parti Ouvrier Belge depuis 1910 (le P.O.B. fut créé en 1885 à la Maison du Cygne sur la Grand-Place de Bruxelles et, après sa dissolution par Henri De MAN, devint le Parti Socialiste Belge en 1945). Cet engagement politique, chez une dame avant la guerre 1914–1918, atteste un désir tangible et fort d’appréhender les faits et une volonté de comprendre leurs enchaînements. Il faut se rappeler que, en ce début XXe siècle, la voix des femmes est ignorée, bâillonnée, leur représentation  politique est nulle. Et pourtant, elles enfantent et allaitent, elles éduquent leur progéniture afin d'en faire de respectables travailleurs/citoyens, elles récurent les maisons et époussètent le maigre mobilier, elles préparent les repas et dressent les tables, elles tricotent, rapiècent, lessivent et repassent le linge, elles élaborent le budget des dépenses ménagères limitées par le maigre salaire de leur homme, elles jardinent, retournent la terre et s'occupent du petit élevage (voire du gros), elles sont laveuses de charbon au bas des terrils et trieuses au sommet, elles halent de lourdes berlines/traineaux dans les galeries de charbonnage devenues trop basses pour les chevaux, elles sont balayeuses dans les gares, dans les forges et dans les rues, elles enseignent aux tout-petits, elles soignent les malades et toilettent les défunts. Elles sont partout, de l'alpha à l'oméga des activités de la vie, elles effectuent des travaux essentiels et donc primordiaux à la survie d'un monde et pourtant, politiquement et économiquement, … elles n'existent pas, elles ne font d'ombre nulle part, sauf … à elles-mêmes.

 

Pour rien au monde, Marie MICHAUX - KLEUDGEN n’aurait négligé son 1er mai, jour de fête internationale de tous les travailleurs. Cela lui valait pourtant un long déplacement pédestre de Bois-de-Breux jusqu'au café-restaurant de "La Populaire", établissement situé Place Verte (actuellement Place Maréchal Ferdinand FOCH depuis la délibération du Conseil communal de Liège du 30 décembre 1918 – voir "LIÈGE À TRAVERS LES ÂGES – Les Rues de Liège" par Théodore GOBERT, tome 7, p. 535), ou jusqu'à la Maison syndicale du P.O.B. (Parti Ouvrier Belge) et l’Union Coopérative au bas des Degrés Saint-Pierre, à quelques 50 mètres de la superbe façade néogothique du palais des princes-évêques, le long de la voie exclusivement descendante (en ces temps-là) vers les grands magasins de la Place Saint-Lambert.

 

En 1926, année de la naissance d’Armand, le tram 10, assurant la jonction entre la Place Saint-Lambert à Liège et Fléron, escaladait la pente vers le Plateau de Herve par le biais d’une voie unique située sur la droite en montant (la voie sera doublée en 1930 - voir "Histoire de la paroisse de Bois-de-Breux" des frères F-M. et L. MARGANNE, p. 62). Le tram 11 utilisait la même voie au départ du centre de Liège, mais il ne s’aventurait pas au-delà de l’ancienne Maison du Peuple de Bois-de-Breux. Cet immeuble, démoli en 09/1990, cédera sa place au nouveau bâtiment du Crédit communal/DEXIA/Belfius à l'aube de l'année 1992.

 

Les premières années de vie du jeune Armand MICHAUX s’égrenèrent le long de cette majestueuse Rue de Herve : voie presque rectiligne, devenue opérationnelle sous le régime autrichien vers 1750 afin de se substituer à l’antique et sinueux Real (Royal) Chemin = Voie Verte (vers Beyne et Fléron) passant par les actuelles Rues Nicolas SPIROUX, Malvaux (Måle vôye : mauvaise voie) et Gaillarmont à Grivegnée.

 

En septembre 1932, à presque 6 ans, Armand MICHAUX franchit la porte de l’immeuble voisin, en amont de sa maison natale : l’école communale de Bois-de-Breux. L’édifice originel avait été construit en 1865 et ouvert le 1er mars 1866 (voir "Si Grivegnée m'était conté" de Roger DUMOULIN, tome 3, p. 320) ; il a subi quelques investissements d’extension quand le jeune Armand y fait son entrée. C’est un immeuble sombre s’étendant le long de la Rue de Herve. La façade à rue, exposée au sud, est percée de 12 grandes fenêtres réparties entre le rez-de-chaussée et l’étage ; ces baies sont munies intérieurement de stores ou de rideaux clairs chargés de tempérer les ardeurs du soleil. L’entrée de l’école est située sur la gauche du bâtiment, vers la maison des MICHAUX, et la cour de récréation est à l’arrière. Cette école fut détruite après la guerre 1940 – 1945. Sur son site, mais beaucoup plus en retrait de la Rue de Herve, fut érigée la nouvelle école communale de Bois-de-Breux dont l’entrée, vue de la Rue de Herve, est actuellement signalée par une relique de la première école : le buste en bronze de Léopold BURETTE, un des anciens directeurs en 1932 (voir "Si Grivegnée m'était conté" de Roger DUMOULIN, tome 3, p. 320).

 

Après avoir accompli ses études primaires à Bois-de-Breux, Armand MICHAUX prendra la direction de Liège pour y entreprendre ses humanités modernes. C’est d’abord à l’école moyenne (pas encore athénée) du Boulevard Saucy qu’il s’arrêtera, puis il franchira la Meuse afin de terminer son cycle de 6 ans à l’athénée royal de Liège, Rue des Clarisses.

 

L’adolescent qu’était devenu Armand MICHAUX s'est découvert une passion pour le monde du sport : la lecture et la controverse concernant les résultats des matches de foot-ball et de basket en général et son affiliation au club de ping-pong de Bois-de-Breux. C’est au cours des tournois interclubs se déroulant dans les locaux de l’ancienne Maison du Peuple de Bois-de-Breux (actuellement siège du Crédit communal/DEXIA/Belfius depuis 1992) qu’il rencontra un autre jeune pongiste originaire de Flémalle : ce jeune Flémallois s’appelait André COOLS (1927-1991). Tous deux J.G.S. (Jeune Garde Socialiste), ils passaient allègrement des débats politiques aux compétitions sportives et les ont prolongés d'une amitié sincère et durable.

 

Pour le principal, les 6 ans d'humanités auront été pour Armand MICHAUX de longues années d’incertitude et de privation, puisque, au-delà de la modestie des ressources familiales, du vendredi 10 mai 1940 au mardi 8 mai 1945, les Nazis tentèrent de dominer l’Europe et leur règne de la loi du plus fort supplanta celui de notre droit démocratique. Bien que très jeune, Armand MICHAUX, déjà fortement pétri de convictions politiques bien définies, se mit au service des Milices Patriotiques (affiliées au Front de l’Indépendance). Cet engagement précoce lui valut, plus tard, plusieurs distinctions : la Médaille de la Résistance, la Médaille commémorative de la guerre 1940 – 1945 et la Médaille du volontaire de guerre combattant.

 

Après ses humanités, Armand MICHAUX décida de s’orienter vers des études de comptabilité. Il n’aura pas à s’éloigner beaucoup de l'athénée de la Rue des Clarisses puisqu’il ira vers le Boulevard Ferdinand PIERCOT, au siège de la C.B.C. (Chambre Belge des Comptables), où il conquerra son diplôme avec distinction.

 

 

 

 

À la recherche d’un emploi

 

 

 

L’année 1947 est celle lors de laquelle notre frais émoulu de la C.B.C. se mit en quête d’un emploi. C’est en tant que fonctionnaire qu'Armand MICHAUX amorça sa carrière. Le ministère des Finances lui attribua un poste de commis dans les bureaux des contributions directes au n° 59 de la Rue Large à Chênée. Ensuite, en 1950, la Province de Liège l’engagea, jusqu'à l'été 1954, au Commissariat d’arrondissement dans le somptueux palais des princes-évêques de la Place Saint-Lambert.

 

Le mardi 10 juin 1952, Armand MICHAUX épousa une jeune Jupilloise, du hameau des Bruyères, née en 1929 à Beyne-Heusay. Elle a pour identité : Léona TOLLET. Ils emménageront au n° 318 de la Rue de Bois-de-Breux à Jupille, dans un immeuble ayant fait partie jadis des installations des anciennes houillères Belle-Vue et Général, immeuble longtemps niché derrière quelques mélèzes s'élevant sur la droite. Ces résineux ont été abattus vers 2008.

C’est au début des années 1950 - son épouse s'en souvient - que notre futur secrétaire communal suivait attentivement le « Quart d’Heure du Sport », animé par Luc VARENNE et Camille-Jean FICHEFET à la radio le dimanche soir. C'est par ce canal d'informations qu'il rédigeait ses chroniques sportives destinées au journal « La Wallonie ». C’est également à cette époque qu’il reprit l’administration de la société de gymnastique « Jeunesse, Sport et Santé » fondée en 1945. Une dizaine d’années plus tard, Armand MICHAUX participa à la fondation de la section des « Jeunes Socialistes ».

 

En 1954, la commune de Rotheux-Rimière se cherchait un secrétaire communal. Armand MICHAUX avait postulé et avait été appelé à ce poste au mois d’août. Il y restera jusqu’à 1963, année lors de laquelle il ira exercer la même fonction à Queue-du-Bois. Progressivement, il se rapproche de Jupille. Son épouse choisissant la voiture, c’est en Taunus 12 ou 17 M qu’il effectuait ses déplacements.

 

À ses activités professionnelles à Rotheux-Rimière, Armand MICHAUX en greffa une autre dès 1955 : celle de secrétaire de l’officier du Ministère public près le parquet du Tribunal de police à Dalhem, et ce jusqu’à 1971. Quant à la politique active, il va s'y insérer : de 1955 à 1969, il présida l’Union Socialiste Communale (U.S.C.)  et, dans la foulée des élections de 1958, il est élu conseiller communal socialiste du samedi 17 janvier 1959 au jeudi 20 août 1964.

 

 

 

Armand MICHAUX entre au n° 59 Rue Chafnay

 

 

 

En 1965, le Conseil communal de Jupille, présidé depuis le 1er janvier par le tout nouveau bourgmestre Alfred (dit Freddy) PUTZEYS, décida d’embaucher Armand MICHAUX en tant que sous-chef de bureau à la Maison communale, au n° 59 Rue Chafnay. Un modeste local lui est attribué afin qu'il y exerce sa fonction, fonction très souvent supervisée par la pipe qu’il gardait souvent coincée entre les dents. Cette embauche n’est pas due au hasard.

 

En effet, à la Maison communale de Jupille, Jean ALLARD est secrétaire depuis le jeudi 29 juillet 1926. Il a 64 ans, dont 39 de carrière, et il prévoit de partir à la retraite dès qu’il atteindra 65 ans, cela signifie en juin 1966. Il est donc stratégiquement important pour les édiles jupillois de pourvoir à son remplacement et de prévoir une période de transition, période pendant laquelle l’ancien ALLARD initiera l’impétrant MICHAUX qui n’a pas encore 39 ans.

 

L’amabilité, la courtoisie, la tolérance et la serviabilité d’Armand MICHAUX feront de lui un fonctionnaire communal unanimement respecté. Bien que déterminé politiquement, il voulait être le secrétaire communal de tous les Jupillois. Il le sera, tous les témoignages le confirment.

 

Le vendredi 3 juin 1966, le Conseil communal décida qu'Armand MICHAUX serait le prochain secrétaire communal. Il assumerait par conséquent la lourde charge de succéder à son envahissant prédécesseur. Lourde succession, non parce qu’il fallait reprendre tous les mandats de Jean ALLARD, mais parce qu’il fallait chausser ses énormes pantoufles de 7 lieues : se définir rapidement comme étant l’homme de la situation concernant la connaissance et le respect de la loi communale, pacifier adroitement de multiples situations toujours différentes, veiller à la gestion des « affaires courantes » à la Maison communale, rencontrer et tisser son propre réseau de relations avec des personnes de tous horizons politiques ou philosophiques, négocier en permanence, etc.

 

Au cours de sa fonction, le nouveau secrétaire communal dut assumer deux points majeurs : 1) la fusion des communes, devenue effective le 1er janvier 1977, et 2) la construction de la nouvelle Maison communale sur le site de l’ancienne propriété de Victor BOXUS, Place HAVART.

 

Concernant la fusion des communes, il faut rappeler que, pendant la guerre 1940–1945, les Allemands avaient déjà gratifié les grandes villes belges d’une pareille adaptation. Pour l’heure, il s’agit d’un projet destiné à toucher tout le territoire belge (donc toutes les communes) et ce projet est porté depuis la fin des années 1960 par le ministre de l’Intérieur et bourgmestre de Virton, le P.S.C. Joseph MICHEL. Le samedi 1er janvier 1977, lorsque la fusion des communes fut entérinée, le résultat est impressionnant : des 2.359 communes couvrant les 30.528 km² de l’Etat belge, 1.770 avaient perdu leur statut d'autonomie (soit 75 % d’entre elles) pour être fusionnées aux 589 qui subsisteront.

 

A Jupille-sur-Meuse, les élus ne redoutaient pas la fusion des communes et ses inévitables redécoupages électoraux ; néanmoins, il est une hypothèse qu'ils craignaient pardessus tout : que la commune de Jupille soit phagocytée par le pantagruélique appétit de la Ville de Liège,  métropole immédiatement voisine. Afin d’éviter pareille absorption, le Collège du bourgmestre et des échevins et le Conseil communal de Jupille s’étaient soumis à un épuisant brainstorming afin d’imaginer des scénarii crédibles et de ne pas devoir vérifier la lancinante assertion de Michel EYQUEM de MONTAIGNE dans ses "Essais", assertion selon laquelle « Nul n’a été prophète non seulement en sa maison, mais aussi en son pays, dit l’expérience des histoires ! ». C'est pour cette raison qu'au cours de l’année 1969, Armand MICHAUX présenta un tapuscrit par lequel les élus suggéraient la fusion des communes suivantes : Bellaire (1.953 hab.), Beyne-Heusay (6.822 hab.), Cheratte (5.011 hab.), Jupille-sur-Meuse (11.643 hab.), Queue-du-Bois (1.723 hab.), Saive (2.504 hab.) et Wandre (6.800 hab.). La nouvelle entité aurait porté le toponyme de Jupille-sur-Meuse et aurait compté 36.456 habitants. Ce projet échoua et Liège absorba Jupille, entre autres. « Nul n’a été prophète … » disait MONTAIGNE.

 

Quant à la Maison communale, sise au n° 59 de la Rue Chafnay, elle ne répondait plus aux nécessités croissantes exigées en matière de service à la population et de confort des locaux qu'on doit attendre, au début des années 1960, dans une commune appelée à s’urbaniser davantage. Ce vieil immeuble datait des années 1855, il avait hébergé écoles du jour et du soir, instituteurs en chef, services communaux et matériel. Il était exigu et devenait désuet. Un investissement s’imposait.

 

Une phase prospective s’initia. Il fut un moment question d’acheter un terrain dans la Rue Alfred Van BENEDEN pour y élever une nouvelle Maison communale. Finalement, le choix définitif s’arrêta sur la proposition d’acheter et transformer l’ancienne propriété des BOXUS, au n° 2 de la Place HAVART. L’opération d’achat se déroula le samedi 21 novembre 1964, lorsque Jean ALLARD était encore secrétaire communal. Mais, c’est à son successeur, à Armand MICHAUX, que revint la charge de lancer les différentes adjudications qui détermineront l’identité des futurs entrepreneurs au début des années 1970. Les travaux d'appropriation purent commencer à la fin de l’année 1973. Armand MICHAUX, étant décédé quelques semaines auparavant, n’a donc jamais rien vu de la nouvelle Maison communale pour laquelle il s’était tant démené. Le transfert des meubles et archives entre le n° 59 Rue Chafnay et le n° 2 Place HAVART eut lieu en octobre 1976.

 

Au cours de sa jeunesse, le secrétaire communal avait souffert de rhumatisme articulaire aigu. Cette atteinte avait quelque peu fragilisé sa fonction cardiaque. Au cours du 2ème trimestre de l’année 1973, notre secrétaire communal ne se sent pas au mieux de sa forme. Il se déclare envahi par une lassitude tenace.

 

Brève journée que celle de ce mercredi 13 juin 1973

 

 

Le mercredi 13 juin 1973, vers 10 heures, le secrétaire communal quitte son domicile du 318 Rue de Bois-de-Breux, prend la direction de Sur-les-Pleins et va longer la Ligne 38 afin d'atteindre l’angle de la Rue de Bois-de-Breux (Rue des Bruyères avant le 1er janvier 1977) et de la Rue de Herve (près du viaduc du chemin de fer) pour y subir un prélèvement sanguin. Cette prestation accomplie, il rentre chez lui et monte directement à l’étage, dans son bureau, afin d’y donner quelques coups de téléphone et d’y accomplir quelques tâches avant de rejoindre la Maison communale en début d’après-midi. Son épouse Léona MICHAUX–TOLLET, après l’avoir accueilli, reprend ses activités domestiques.

 

Vers 11h30, son épouse monte afin d'aller ranger du linge. Elle pousse la porte du bureau étonnamment silencieux et découvre son mari recroquevillé sur son siège, comme si l’échec d’une tentative de se lever l’avait fait se rasseoir plus lourdement.

 

Avait-il pressenti ou ressenti un malaise l’envahir ? Avait-il tenté de se lever pour s’étendre sur le canapé présent dans la pièce ? Mystère, nul ne saura jamais !

 

Le service 900 et le médecin traitant sont appelés. Ils arrivent presque simultanément. Le thorax du secrétaire communal est dégagé et les gestes idoines sont posés. Avec le matériel de l’ambulance, le praticien se livre à une ultime manœuvre de réanimation par électrochocs. Les secondes, les minutes défilent. C’est l’échec. L’arrêt cardio-respiratoire se confirme, le certificat de décès peut être motivé, daté et signé. Le temps n’appartenant pas aux hommes, la mort emportait Armand MICHAUX. Il était âgé de 46 ans et laissait une veuve et une fille, Danièle.

 

Au-delà des voisins immédiats informés du drame rendu perceptible par la sirène de l’ambulance, c’est vers le domicile du bourgmestre PUTZEYS que file la première information. Mais Alfred PUTZEYS est absent, il est à 250 m. de chez Armand MICHAUX, il se trouve au n° 451 de la Rue de Bois-de-Breux, il assiste aux obsèques de Jean SERVAIS qui était décédé le samedi précédent, le 9 juin 1973. Jean SERVAIS, dit le « commandant », était le président de la section des Anciens Combattants de Bois-de-Breux et « deus ex machina » à la paroisse Saint-Joseph aux Bruyères. C’est par conséquent Noéline PUTZEYS-DAMMANS, l'épouse du bourgmestre, qui décroche le téléphone et va enregistrer et diffuser la nouvelle : le secrétaire communal est décédé, Armand MICHAUX n’est plus. Les élus et le Personnel communal sont sidérés. Le conciliant, le doux, le calme, le tranquille Armand MICHAUX, aux cheveux grisonnants, au regard clair et un peu moqueur, au sourire énigmatique, n’occupera plus son modeste bureau (mots extraits du discours du bourgmestre PUTZEYS). Les funérailles, civiles, se dérouleront le samedi suivant, le 16 juin 1973. La famille convia les amis, les connaissances et les sympathisants à se réunir en face de sa maison, au 318 Rue de Bois-de-Breux, au hameau des Bruyères à Jupille, à 14h15.

 

Les périodiques locaux, les journaux « La Wallonie » et « Le Monde du Travail » et le clergé paroissial de Saint-Amand dédièrent à Armand MICHAUX quelques adresses flatteuses louant sa conscience professionnelle et sa légendaire amabilité.

 

Autant le week-end précédent, celui de la Pentecôte, avait été désagréable parce que pluvieux, autant ce samedi 16 juin 1973, jour des funérailles d’Armand MICHAUX, est ensoleillé et torride. Le long cortège s’ébranle vers la Maison communale par les rues de Bois-de-Breux, Auguste PONSON, Jean HERMESSE et la Place Mathieu BODSON. Une première halte est prévue face à son lieu de travail au n° 59 Rue Chafnay, une deuxième est également prévue à la Maison du Peuple, Rue de l’Eglise (devenue En Mi-la-Ville au 1er janvier 1977), ensuite le cortège remontera la Rue de Bois-de-Breux pour l’inhumation au cimetière des Bruyères.

 

Quatre discours seront prononcés : celui d’Alfred PUTZEYS, bourgmestre de Jupille, de Gilbert HOUGARDY, président de l’U.S.C. (Union Socialiste Communale) de Jupille, de Julien PIRNAY de l’U.S.C. de Bressoux et Albert LEBOULLE du Front de l’Indépendance et journaliste à La Meuse (témoignage d'Alain LEBOULLE de Jupille). Parmi la foule, outre les élus locaux, figuraient quelques hommes politiques, parmi ceux-ci : les députés Claude DEJARDIN et Jean GOL et le conseiller provincial Jean-Pierre DIGNEFFE. Encore un détail : un participant inhabituel et insolite suivait également le chemin vers la dernière demeure se son maître, il s'agissait de Bobby, son fidèle caniche noir.

 

Le poste de secrétaire communal de Jupille devenu vacant sera repris par René DELVENNE qui remplissait précédemment cette fonction à Glain, au nord-ouest de Liège.

 

Dès le samedi 1er janvier 1977, la fusion des communes est d’application en Belgique. Puisque d’anciennes communes, auparavant autonomes et distinctes, sont regroupées en une seule nouvelle entité, il est prévu de changer certains noms de rues car ces noms risquent d'apparaître plus d’une fois à l’intérieur de la nouvelle entité, par exemple : les rues Joseph WAUTERS à Jupille et à Glain, toutes deux fusionnées à Liège. Toutes les nouvelles dédicaces n’ont pas été attribuées pour le 1er janvier 1977. Certaines rues reçurent la leur plusieurs longues années plus tard.

 

 

 

En sa séance du V. 30 novembre 1979, sous la présidence de Jean-Pierre DIGNEFFE, échevin de la Restructuration communale et de la Fonction publique de la Ville de Liège, la sous-commission de toponymie décide d’attribuer une nouvelle dédicace à la Rue Joseph WAUTERS à Jupille (elle-même dédicacée depuis le J. 13 mars 1930). Le Conseil communal de Liège avalisera cette décision. Désormais, l'ex-Rue Joseph WAUTERS deviendra la Rue Armand MICHAUX. La plaque de rue sera posée au début de l’exercice 1982.

 

L'auteur de ce texte est notre membre Octave WARZEE.

La photo du sieur Armand MICHAUX provient des collections de son petit-fils monsieur Xavier BECKERS, merci à lui.

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22 novembre 2018 4 22 /11 /novembre /2018 11:13

L'entreprise Meublacier, dont les murs en briques grises sont toujours visibles en 2018, couvrait une superficie voisine des 400 m² ; elle avait été créée en 1934 par 7 investisseurs qui en avaient confié la direction/gestion journalière à l'un d'entre eux : Toussaint PETESCH (1898-1977). Le sieur PETESCH est un travailleur austère qui a des principes, il est issu d'une lignée de souche grand-ducale (de Boxhorn, entre Clervaux et Troisvierges), il est forgeron et réside avec son épouse Marguerite BAILLY (1902-1988) à Cheratte. Les ateliers de Meublacier, disposés en enfilade, s'ouvraient dans la Rue Commandant Marcel SPEESEN à Jupille (ex-Rue Vignoul) par le biais d'un haut volet escamotable à la droite duquel se trouvait le bureau du directeur-gérant. La plieuse et les cisailleuses inauguraient un ensemble de machines impressionnantes torturant sans répit les tôles graisseuses afin de les mettre à mesure et de les assembler en différents modèles de meubles de bureaux. Ensuite, étaient rangés les nombreux stocks d'accessoires pour l'assemblage : charnières de portes, glissières de tiroirs, pieds de bureaux, silentblocs en caoutchouc, tôles, etc. Ces stocks précédaient les halls de peinture situés à l'arrière du bâtiment. Meublacier a aussi réalisé des commandes dites exceptionnelles car sortant du cadre strict du matériel de bureau, par exemple : fabriquer du mobilier prévu pour activités festives de réception. Au cours de la guerre 1940/45, Toussaint PETESCH ne voulait ni travailler pour l'occupant allemand, ni imposer des privations aux siens et, simultanément, souhaitait se rapprocher de ses ateliers au hameau des Bruyères à Jupille. Dès lors, l'immeuble de Cheratte fut vendu et le couple trouva une nouvelle résidence à proximité de l'église du Bouhay à Bressoux. Après la guerre, les PETESCH-BAILLY éliront domicile dans la Rue Pierre CURIE, dans la partie haute de Grivegnée, avant de s'établir définitivement à l'étage de la pharmacie de Lucienne COLLARD (assistée par sa sœur Hortense) à l'angle des Rues Fraischamps et Pierre CURIE. Notons que le couple PETESCH n'a jamais eu d'automobile ; pour les déplacements, il y avait la marche à pied, la bicyclette, les transports en commun ou le camion de livraison de Meublacier, qui, piloté par Mathieu FASSOTTE, emmenait le directeur-gérant de son domicile aux ateliers et inversement. En 1974, Toussaint PETESCH a 76 ans, il respire péniblement, toute démarche l'épuise rapidement, il décide de prendre sa retraite et quitte la direction de Meublacier où étaient encore occupés une petite dizaine de travailleurs. Le modernisme et les tendances "design", les coloris et les matières nouvelles vont faire leur apparition par le biais d'Acior TDS (acronyme de Tôleries de Sclessin, Rue de l'Hippodrome) et MEWAF (altération par contraction de Metal Waren Fabriek) de Courtrai. Le mobilier de Meublacier est austèrement gris, solide et peut-être lassant car proprement inusable (ici la notion d'obsolescence programmée est totalement inconnue), le déclin s'amorce et annonce la fermeture des ateliers de la Rue Commandant Marcel SPEESEN à l'aube des années 1980.

Désignée auparavant Rue Vignoul, la dédicace "Commandant Marcel SPEESEN", accordée à cette courte rue du hameau des Bruyères lors de la fusion des communes en 01/1977, rappelle l'identité du commandant du fort de Pontisse (aux Hauts-Sarts à Herstal) au début de la guerre 1914-1918.

 

 

Texte rédigé par notre membre Octave Warzée, photos d'Octave Warzée, mise en page par notre webmaster Alfred Jamin.

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9 novembre 2018 5 09 /11 /novembre /2018 10:52

 

 

Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse
Commémoration du centième anniversaire de l'Armistice à Jupille-sur-Meuse

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3 novembre 2018 6 03 /11 /novembre /2018 14:22

 

LE MOT DE LA PRÉSIDENTE

 

Les commémorations du centenaire de la Grande Guerre se terminent.

 

Pendant ces années, la Commission d'Histoire Locale (CHL) de Jupille a, au travers de diverses  actions, apporté son regard, son ressenti, ses émotions, ses connaissances.

 

Bien sûr que tous les grands faits de guerre méritent d'être évoqués ! Mais il nous importait surtout de relater l'engagement, la souffrance de gens proches de nous, d'hommes et de femmes que nous avons connus ou que nos parents, grands-parents ont côtoyés, des Jupillois.

 

Parmi tous les acteurs de ce drame immense, certains furent des héros, des martyrs, des résistants à divers niveaux, mais la plupart furent surtout des êtres humains malmenés, malheureux, des souffrants anonymes, d’innocentes victimes d'un conflit impitoyable.  

 

Afin de perpétuer leur souvenir, les membres de la CHL ont effectué des recherches, mis sur pied des expositions, publié une brochure, commenté une promenade, posté des articles sur ce blog et nous étions présents aux commémorations annuelles à Jupille.

Je citerai surtout :

  • Expo « La Vie des Jupillois en 14-18 », avec son volet « Réfugiés », en octobre-novembre 2014.

  • Inauguration de la nouvelle plaque à la mémoire d’un héros jupillois, Mathieu BODSON, au cimetière des Bruyères le 19 décembre 2015.

  • Brochure « La Vie des Jupillois en 14-18 », éditée en 2016.

  • Expo « Mathieu BODSON », du 29 octobre au 8 novembre 2016.

  • Balade dans Jupille, sur les lieux de martyrs, de vie de certains personnages, de monuments, organisée le 10 novembre 2016 par le Foyer culturel de Jupille et avec les commentaires de la CHL

  • Toutes ces activités retracent les comportements courageux, héroïques, voire désespérés des Jupillois et montrent l’importance des commémorations.

  • Deux articles vont bientôt paraître sur ce blog : « Lieux du Souvenir » de Georgette CALIFICE et « Le Bourgmestre Auguste PONSON » d’Octave WARZÉE. D’ores et déjà, je vous en souhaite une bonne lecture.

  • Commémoration en novembre de chaque année, organisée par le Foyer culturel de Jupille-Wandre, en collaboration avec la fédération des porte-drapeaux de Liège, les enfants des écoles de Jupille et la population.

 

INVITATION :

Ce jeudi 8 novembre 2018, commémoration du centenaire de l’armistice (avec trois jours d’avance). Rassemblement à 10h45 sur la place des Combattants à Jupille. Aurai-je le plaisir de vous y rencontrer ?


 

Ida DETILLEUX



 

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3 novembre 2018 6 03 /11 /novembre /2018 12:14

En ce mois de novembre 2018, la Commission d'Histoire Locale de Jupille-sur-Meuse (en abrégé la C.H.L.) ne peut oublier le souvenir de l'armistice du L. 11 novembre 1918, armistice mettant fin à la première guerre mondiale, dite la "Grande Guerre". Toutes les guerres sont abominables, sont horribles et sont, par définition, la preuve d'un échec dans les négociations les précédant. Il faut rappeler que, dès le déclenchement de ce conflit, le Mar. 4 août 1914, l'Allemagne impériale de Guillaume II von HOHENZOLLERN voulait une guerre courte de quelques mois seulement et, pour cette raison, déclencha des attaques rapides, brutales, cruelles et terrifiantes afin de casser toute forme de résistance et d'acculer le pays à la reddition. Et ce, le plus rapidement possible. Les combats présentaient l'image d'une gigantesque boucherie à ciel ouvert (aux lieux-dits Liéry, Bouhys et Lonette entre Queue-du-Bois et Retinne, aux Quatre-Bras de Rabosée sur les hauteurs de Wandre, dans les prairies de Soxhluse à Romsée, au Sart-Tilman sur les hauteurs d'Angleur, à Labouxhe entre Micheroux et Melen, etc.). Les soldats tombaient par centaines, les exécutions sommaires de civils étaient nombreuses et les incendies d'immeubles étaient la règle. Telle était la stratégie définie par les états-majors impériaux, c'était prémédité : pas de limite, pas de scrupule, pas de prisonnier, tout est permis, d'abord terroriser/horrifier, ensuite tuer et brûler avant de conquérir. C'était la guerre totale !

 

Dans le cadre de nos recherches, nous avons pu retrouver la trace de deux lettres densément solennelles, dont la charge émotive est considérable. Ce sont les réponses écrites du Conseil communal unanime de Jupille-sur-Meuse à la Reichskommandantur (= état-major impérial) et du bourgmestre PONSON, en son nom propre, au commissaire civil d'arrondissement en octobre 1916. Ces lettres expriment le refus de nos élus d'exécuter l'ordre de confectionner des listes de chômeurs que l'occupant exigeait afin de les déporter ultérieurement et de les mettre au travail en Allemagne. Le panel des sanctions pour refus d'ordre en temps de guerre est large et sévère : il va du blâme au poteau d'exécution en passant par l'amende dissuasive, l'emprisonnement ou la déportation. En lisant ces textes, nous avons pu comprendre combien a dû être pénible et ingrate la tâche de ceux qui avaient choisi, avant le conflit, de régler et organiser pacifiquement la vie de la population. Ces citoyens, qui avaient été démocratiquement élus dans un pays libre et neutre avant août 1914, ont été obligés de rester en fonction et de se soumettre simultanément aux exigences de l'occupant pendant les quatre années de guerre.


Quels étaient les acteurs en présence ? En octobre 1916, les membres du Conseil communal de Jupille sont : Victor BOXUS (il est le gendre de l'ancien bourgmestre et distillateur Jean-Louis HAVART), Gaspard HENRION, Jean HENRION, Jean HERMESSE, Jean LAFNAY, le cultivateur Mathieu MERTENS et Auguste PONSON (liste incomplète) ; les deux échevins désignés par les conseillers sont l'enseignant Victor BOXUS et le forgeron Jean HERMESSE et le bourgmestre-président, désigné lui aussi, est le médecin Auguste PONSON. Les deux échevins et le bourgmestre sont tous trois d'obédience libérale. Le V. 20 octobre 1916, à la Maison communale au n° 59 Rue Chafnay, le secrétaire communal relève le courrier et prend connaissance du texte de la lettre de la Reichskommandantur enjoignant au Conseil communal de lui confectionner une liste des chômeurs. Informés de l'importance de cette missive, les conseillers communaux décident de se réunir le surlendemain, le D. 22 octobre, pour y définir une attitude et en transmettre les termes à la Reichskommandantur.

 

Présentation sommaire du bourgmestre Auguste PONSON

 

Né à Cerexhe-Heuseux le 16 septembre 1873, le docteur Auguste PONSON avait sa résidence-château sur la pente du promontoire séparant la Rue de Visé de la Rue Dassonville (aujourd'hui parking pour remorques). Deux imposants cerfs allongés en béton moulé accueillaient le visiteur après la grille d'entrée. Le plus proche voisin du médecin est son frère Jules, pharmacien de profession, colombophile et tendeur averti, dont la résidence fait l'angle occidental de la Place du Bac, juste en vis-à-vis de l'ancienne brasserie LHOEST-COLLINET (côté Meuse) et celle des PIEDBŒUF (côté église Saint-Amand). Auguste PONSON a entamé sa carrière politique en tant que conseiller communal libéral pendant le mayorat de Désiré SIMONIS, de 1896 à 1907. Désigné bourgmestre à son tour dès les élections de 1908, il fonda, entre autres, un courrier communal distribué aux habitants afin de les informer de la vie de la commune, une consultation des nourrissons permettant d'évaluer/dépister/soigner gratuitement tous les nouveau-nés et de prodiguer des conseils aux mères et une inspection médicale scolaire afin d'examiner/suivre/conseiller gratuitement tous les élèves. Outre sa profession et ses activités politiques, Auguste PONSON pratiquait la chasse à titre de loisir. Dans son "Djoupèye divins on vî mureû = Jupille dans un vieux miroir", Servais HOUVELEZ évoque le médecin-bourgmestre à la p. 97 en le décrivant comme étant un "clapant tchèsseû = fameux chasseur". Peu avant 1914, le bourgmestre fut la malheureuse victime d'un très sérieux accident vasculaire cérébral qui le priva totalement et définitivement de son bras droit et partiellement de la jambe. Les tourments de la guerre, les tensions de la politique et les impératifs professionnels des consultations et visites aux malades ont usé Auguste PONSON prématurément. Le S. 20 novembre 1920, le Conseil communal, sur proposition de la Fédération Nationale des Combattants, accorda une nouvelle désignation à l'ancienne "Vôye des Mamours", devenue la Voie Colette, elle sera désignée dorénavant Rue Auguste PONSON. Le bourgmestre décéda peu après, en cours de mandat, le 13 janvier 1921, il avait 57 ans. Le château du couple PONSON-WILLEM fut mis en vente et devint la résidence de Louis BOUSQUET, gros importateur de vins et spiritueux avant d'être repris plus tard par la brasserie et puis démoli. La photo en tête de paragraphe vient des collections d'Ida DETILLEUX-JACQUEMIN.


 

_____________________



 

Ci-dessous, le texte des deux lettres : en premier lieu, la réponse, datée du D. 22 octobre 1916, du Conseil communal unanime à la lettre de la Reichskommandantur reçue le V. 20 octobre 1916 (donc toutes personnes citées au paragraphe 3 ci-dessus ont signé la lettre) ; ensuite, la réponse personnelle, datée également du D. 22 octobre 1916, du bourgmestre PONSON au commissaire civil de l'arrondissement de Liège.

 

 

Monsieur le Commandant,

 

Le Conseil communal, réuni en séance le 22 octobre courant, a pris connaissance de votre lettre du 20 du même mois, n° 15739/16, relative à la fourniture d'une liste des ouvriers chômeurs. Le but poursuivi par l'autorité allemande et nettement défini par les journaux censurés, notamment par "Le Télégraphe", étant d'envoyer de force en Allemagne pour les contraindre à travailler en ce pays, les ouvriers belges sans travail, l'Assemblée estime qu'elle ne peut collaborer à l'élaboration de cette liste, sans sacrifier son honneur, sa dignité et ses sentiments patriotiques garantis par la Convention de La Haye.

 

Depuis la guerre, les membres de l'administration se sont dépensés sans compter pour assurer dans les tristes circonstances que nous traversons, la bonne marche des services de ravitaillement et autres et ils ont su, à force de travail et d'abnégation, maintenir dans la commune, spécialement dans la classe ouvrière si calme et si digne, l'ordre, la discipline et la tranquillité. Ils sont prêts à continuer les sacrifices qu'ils s'imposent dans l'intérêt de leurs concitoyens, mais ils ne peuvent faire ce qui serait de nature à compromettre leur dignité et leur conscience.

 

                                                                           Signé : le Conseil communal unanime.

 

 

 

 

Monsieur le Commissaire,

 

Un journal censuré, "Le Télégraphe", ayant nettement défini l'intention de l'autorité occupante d'emmener de force en Allemagne les ouvriers belges sans travail pour les contraindre à travailler en ce pays, j'ai le regret de vous informer que mes devoirs patriotiques, garantis par la Convention de La Haye, m'empêchent de collaborer à l'élaboration des listes de chômeurs que vous me réclamez.

 

Les gens à inscrire sur ces listes pourraient dire que c'est par ma faute qu'ils ont été obligés contre leur gré et peut-être contre leur conscience d'aller travailler en pays étranger et cette accusation serait pour moi déshonorante ; il ne m'est pas possible, pour ces raisons, de réserver une suite favorable à votre demande, ma conscience de magistrat s'y oppose. Gravement paralysé de la jambe droite, je ne puis me mouvoir qu'au prix de grands et douloureux efforts, je suis décidé à donner tout ce qui me reste de force pour vous aider dans l'administration de ma commune, mais je ne puis à cela sacrifier ma dignité, mon honneur et mes sentiments patriotiques.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire, l'assurance de ma considération très distinguée.

 

Signé : Auguste PONSON, bourgmestre.

Le Mar. 21 novembre 1916, le bourgmestre PONSON répond à la convocation du commissaire civil d'arrondissement qui, saisissant l'occasion de la phrase dans laquelle le bourgmestre évoque sa paralysie, l'invite purement et simplement à démissionner. Le Conseil communal répondra à l'unanimité qu'il soutient son bourgmestre-président à son poste.

 

En avril 1917, la Reichskommandantur sanctionne le bourgmestre Auguste PONSON pour son insoumission caractérisée (et celle de son Conseil) et lui inflige une amende de 300 mark. Cela peut paraître modeste sauf s'il s'agit du mark impérial-or (le GRM ou Gold-Reichsmark qui fut, avant le dollar, le premier étalon-or en 1871. La valeur actuelle du GRM atteint +/- 250 € et porterait l'importance de l'amende à 75.000 €).   

 

Texte rédigé par notre membre Octave Warzée, illustration issue de la collection de la CHLJ,  mise en page par notre webmaster Alfred Jamin

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21 octobre 2018 7 21 /10 /octobre /2018 08:49

Ces lieux furent parcourus lors d'un " CHEMIN DU SOUVENIR" organisé le 10 novembre 2016 par le Foyer Culturel et la Commission d'Histoire Locale de Jupille.

 

1. Au cimetière des Bruyères, nous nous réunissons devant le monument aux morts de 14-18. Cet édifice fut réalisé par l'architecte Joseph MOUTSCHEN. Le gisant, sculpté par Alexis FIVET, a eu comme modèle Lambert MONSEUR.

 

Sur le monument, on peut lire "A nos enfants morts pour la Patrie" et remarquer des livres en pierre à la mémoire de Mathieu BODSON, Mathieu COLLETTE.

 

Mathieu BODSON, héros jupillois à qui la CHL a consacré une exposition en octobre-novembre 2016, est né à Jupille le 3 août 1893. Engagé pour s'occuper d'espionnage et de recrutement sous le nom de Pitje, il fournit aux états-majors des plans utiles aux opérations militaires, recueille du courrier aux quatre coins du pays, les porte en Hollande, recrute des jeunes pour les bataillons de l'Yser.

 

Suite à une dénonciation, il est arrêté par les Allemands. Après 98 jours d'incarcération et de torture, il est fusillé le 14 septembre 1916. Une lettre à sa mère, rédigée la veille de son exécution, nous est parvenue.

 

 

Extrait : "Le 13 septembre 1916"

Chère Maman,

Mon recours en grâce est rejeté, je serai fusillé demain... Je ne regrette rien, car si l'on tient à la vie, il faut savoir la quitter quand le devoir l'exige... ne crains rien, j'ai du courage, ce sera vite passé.

Si, après la guerre, l'on met tous les fusillés ensemble, laisse-moi avec les autres, si l'on nous sépare, je veux retourner à Jupille...

Raconte aussi à mon père comment cela s'est passé et dis-lui qu'il peut être fier de son fils...

Je t'embrasse bien fort. Adieu

 

Des funérailles solennelles pour lui, Aimé SMEKENS et Gabrielle PETIT ont lieu à Schaerbeek le 29 mai 1919. Son nom figure sur une plaque commémorative au Sénat tout comme celui de Gabrielle PETIT.

 

Le parcours et le destin de Pitje et de Gabrielle sont fort semblables. Nés la même année (1893), issus d'une famille modeste, ils servent leur patrie, sont fusillés au même endroit, la même année.

 

Comme il l'avait demandé, au cas où les fusillés seraient séparés, d'être enterré à Jupille, sa dépouille aurait bien été exhumée le 13 avril 1928 de la crypte des soldats, selon le registre du cimetière de Schaerbeek. Mais, malgré toutes les recherches de la Commission d'Histoire Locale de Jupille auprès du personnel du cimetière, sa tombe n'a pu être localisée ni aux Bruyères, ni au cimetière Saint-Amand.

 

A la demande de la Commission d'Histoire Locale de Jupille à laquelle Mr l'Echevin FIRKET a accédé, un nouveau livre en pierre, dédié par la Ville de Liège et la CHL, lui a été offert pour le centenaire de sa mort. (Un historique plus complet se trouve sur ce blog.)

 

Mathieu COLLETTE, enseignant jupillois, fut un des membres fondateurs du Vestiaire des Ecoles Communales, peut-on lire sur la plaque commémorative.

 

Ainsi, le 10 octobre 1899, touchés par le dénuement de certains enfants des écoles communales, Madame DEFLANDRE, Messieurs DESTORDEUR, DEFLANDRE et TOUSSAINT décident de créer un Vestiaire des Ecoles. La plupart des membres du personnel, dont Mathieu COLLETTE, souscrivent les premiers fonds : 56,50 francs au total.

 

Inlassablement, pendant plus de cent ans, les membres du Vestiaire des écoles communales vont mener des activités.

 

Ainsi, ils collectent au sein de la population, organisent des séances artistiques, littéraires, scientifiques, exploitent un dancing, un café à Fayenbois (aujourd'hui détruit), etc.

 

Avec l'argent récolté, ils distribuent par exemple une mallette aux enfants de 1ère année, une Saint-Nicolas à chaque enfant, ils aident ponctuellement en achetant de la nourriture, des vêtements... et à Fayenbois, ils créent un plaine de jeux, organisent des classes de vacances, des classes de dépaysement...

 

L'objet de l'association paru au Moniteur du 9 juin 1934 était notamment de propager et de perfectionner l'éducation et l'instruction populaires et de venir en aide aux enfants des écoles officielles... Cet objet n'a volontairement jamais été modifié jusqu'à la dissolution du V.E.O. vers les années 2010. (Un historique plus complet se trouve sur ce blog.)

 

Plus loin, à la droite du monument, nous passons près de la PELOUSE D'HONNEUR DES COMBATTANTS DE 14-18.

 

Un peu plus haut se trouve la tombe de JEAN LASSAUX.

 

Volontaire de guerre, notre Jupillois Jean LASSAUX est de toutes les batailles, depuis Liège jusqu'à l'offensive libératrice. Quand il revient, il a perdu un œil. Le voilà Invalide de Guerre!

 

Il est l'auteur d'une cinquantaine d'œuvres lyriques, de pièces dramatiques et bon nombre de poèmes. (Des exemplaires de son livre “Quelques Poèmes et Impressions de Guerre” sont disponibles à la CHL.)

 

 

2. Au sortir du cimetière, nous descendons la rue de Bois-de-Breux et si nous tournons à gauche au carrefour, nous empruntons la rue Commandant DUCHESNE.

 

Le mardi 4 août 1914, l'armée allemande entre en Belgique par Gemmenich, pour donner l'assaut à Liège.

 

Les 5 et 6 août, les soldats belges résistent, notamment à Rabosée.

 

Un Jupillois, le Commandant DUCHESNE, trouvera la mort, lui, à Romsée.

 

Au carrefour, à droite, dans le prolongement de la rue Commandant Duchesne, nous sommes ici dans la rue qui porte le nom d'AUGUSTE PONSON, Bourgmestre de Jupille. C'est lui qui officie durant toute la période des hostilités.

 

Au début de la guerre, une étrange aventure lui est arrivée.

 

Le 11 août, cinq jours après l'entrée des Allemands à Jupille, un soldat de belle prestance se présente chez le Bourgmestre Auguste PONSON. Il déclare que l'autorité militaire allemande lui a confié la police de Jupille.

 

Tout seul, KETTERMANN, ainsi s'appelle notre personnage, effectue la police des campagnes qu'il parcourt à bicyclette, dresse pas mal de procès-verbaux et procède à un bon nombre d'arrestations de pilleurs et maraudeurs. Il force les ménagères à nettoyer leur trottoir deux fois par semaine. Jamais Jupille n'a été aussi propre ni aussi tranquille. Il veille à l'application stricte de tous les règlements et les condamnations à deux, cinq, dix, vingt marks pleuvent sur les contrevenants.

 

Il prétend consacrer l'argent ainsi récolté à des travaux de voirie. Il fait d'ailleurs réparer une chaussée et paie les salaires des ouvriers.

 

Notre proconsul villageois agrandit le champ de ses opérations. Il décide même de se marier, mais le Bourgmestre lui fait observer qu'il y a des formalités à remplir telles que fournir son extrait d'acte de naissance et respecter le délai de la publication des bans.

 

Mais les meilleures choses ont une fin. Le bruit de ses exploits arrive jusqu'à la Kommandantur de Liège. Il est condamné à deux ans de prison. Cette usurpation a duré cinq semaines.  

 

Au n° 52 se trouve la maison où vécut et professa le Docteur Louis SIMON.

 

Il faut savoir que les tensions engendrées par l'Occupation poussent les hommes à rejoindre le front. Et pour rejoindre les lieux de combats, il faut s'échapper !

 

Un remorqueur de fortes dimensions, appelé ATLAS V, a été remis en excellent état pour être à la disposition des Allemands. Il doit partir le 4 janvier 1917.

 

C'est ainsi que, dans la soirée du mercredi 3 janvier 1917, des gens arrivés de multiples endroits montent discrètement à bord de l'embarcation. Ces cent hommes, une femme et ses deux enfants ont la volonté inébranlable de fausser compagnie aux Boches.

 

A minuit vingt-cinq, le bateau se laisse descendre au fil de l'eau tumultueuse. A l'approche de Visé, une sentinelle allemande aperçoit l'embarcation et donne l'alerte. Fusils, mitrailleuses, canons entrent en jeu. Heureusement le pilote a blindé le tambour du gouvernail et une partie du poste de pilotage. Dans sa fuite, le bateau accroche le pont de bois de Lixhe, la chaloupe mitrailleuse des Allemands et un câble électrique qui traverse la Meuse.

 

Qu'à cela ne tienne, tous les passagers accostent sains et saufs à Eijsden en Hollande. Les hommes peuvent rejoindre le front de l'Yser.

 

Parmi eux se trouve un jeune homme de moins de 18 ans : Louis SIMON, futur médecin de Jupille.

 

Cette évasion à bord du remorqueur est à l'origine du nom du pont de l'Atlas V.

 

 

 

3. Nous continuons notre périple et nous nous arrêtons place Mathieu BODSON.

 

Le 3 août 1893, Mathieu BODSON naît dans une maison qui se situait à l'époque au 148 rue Chafnay. Un registre mentionne que sa maison natale est restée debout jusqu'en juillet 1914.

 

Il est le fils d'Antoine BODSON et de Marie-Agnès THONNART. Issu d'une lignée d'artisans, surtout des armuriers, il sera plombier. Il passe sa jeunesse ici, sur la place Fléron, appellation de l'époque jusqu'en 1920, rebaptisée en son honneur “place Mathieu BODSON”.

 

Mathieu a deux frères plus jeunes que lui :

-Théodore, né le 14.10.1896 et qui est soldat en 14. Il sera arrêté en 1915 et déporté en Allemagne jusqu'en novembre 1918. En 1944, il sera à nouveau arrêté par les Allemands, déporté à NEUENGAMME où il mourra.

-Jean Louis, né le 30.06.1903, qui meurt à l'âge de 19 ans.

 

Mathieu quitte Jupille. Pendant la guerre, il vit à Bruxelles avec sa mère divorcée.

 

Après la mort de Pitje, sa mère écrit une lettre très émouvante à son beau-frère Jules BODSON.

 

 

“ Bruxelles, le 23.09.1916

Jules... j'ai une bien terrible nouvelle à vous annoncer : mon fils Mathieu est mort. Il est mort héroïquement au service de la Patrie...

Il est arrêté le 3 juin... moi le 5... Le 6 septembre... Jean BOSCH, sa fille et moi avons été relâchés.

Le 9 septembre mon pauvre fils a été jugé et condamné à mort. Ce que j'ai fait de démarches pour faire commuer sa peine, cela est impossible à raconter... On l'a exécuté le 14 septembre... Je croyais avoir beaucoup souffert, mais ce n'était rien en comparaison de ceci...

J'ai lutté pendant toute une année, lui donnant à peu près tout ce que je gagnais pour qu'il ne se risque pas à repartir là-bas, mais il était patriote... Vous pouvez tous être fiers de votre neveu...

Ne dites rien à Théodore en Allemagne : il est violent et emporté, il pourrait faire un mauvais coup...”

 

 

La mère de Pitje mourra de chagrin moins de deux mois plus tard.

 

Cette lettre nous est parvenue grâce au fils du filleul de Mathieu BODSON qui nous a fait l'honneur d'assister avec sa femme, son fils et sa petite fille au vernissage de l'exposition sur Mathieu BODSON le 26 octobre 2016. Hélas, il est décédé le 23 juillet 2017.

 

Sur cette place, vous pouvez voir une Fontaine.

 

 

 

 

Ce monument, œuvre de l'architecte jupillois Joseph MOUTSCHEN, érigé à l'initiative de la société “Lès R'djètons dès Pépins” sous les auspices de l'Administration communale de Jupille et la section des Combattants de Jupille, est inauguré en grande pompe le 29 avril 1928. Un cortège avec des Associations de Combattants belges et étrangères, les autorités communales, des harmonies, les enfants des écoles et la population locale sillonne les rues de Jupille.

 

Des discours sont prononcés devant le monument. Prennent la parole : le Bourgmestre Joseph PREVERS, Jean LASSAUX représentant les Invalides de Guerre et Mathieu COLLETTE pour les Combattants, en présence de Maître TANT, avocat de Pitje, et de son père Antoine BODSON.

 

 

 

4. Monument à la mémoire des martyrs des Cabayes, rue de Beyne, place des Martyrs.

 

Début août 1914, les piottes résistent, les forts d'Evegnée et de Fléron font barrage.

 

Les Allemands se vengent sur les civils. C'est ainsi qu'ils en tuent plus de 200 pour Battice, Herve, Melen, Soumagne, Micheroux, Retinne.

 

Jupille n'est pas épargnée.

 

Les Allemands traversent Queue-du-Bois et Bellaire et entrent à Jupille par le hameau des Piétresses.

Le matin du 6 août, François DOYEN, simple d'esprit, vient d'abattre un pigeon sauvage. Il s'approche des habitations des Cabayes. Sans réfléchir, il dépose son fusil derrière une porte et ce, à l'insu des occupants.

 

Les “Casques à pointe” à cheval apparaissent, fouillent les maisons et trouvent la carabine avec son odeur de poudre. François DOYEN a beau montrer son pigeon, on le fouille et on trouve deux cartouches. On rassemble tous les habitants : une trentaine dont dix enfants. Les Uhlans mettent le feu à la maison où ils ont trouvé l'arme. On fait rentrer les femmes et les filles. Ne restent que les hommes et un petit garçon : Mathieu THONNART, cousin de Pitje. Finalement cinq hommes sont emmenés et fusillés aux Piétresses, ici à l'endroit du monument érigé en leur mémoire. Il s'agit de Nicolas CHRISTOPHE, Henri DEPIREUX, Laurent DEPIREUX, Thomas DEMEUSE et François DOYEN.

 

Le petit Mathieu THONNART, 5 ans à l'époque, fut épargné. Il devint instituteur et journaliste et nous a raconté cette terrible histoire.

 

5. Au pied du thier de Bellaire, à gauche en montant, se trouve, encastrée dans le mur, une croix située à l'endroit où trois soldats belges furent tués le 6 août 1914.

 

En empruntant à gauche la rue du Couvent, pour descendre vers le centre de Jupille, nous passons devant l'école FERRER.

 

Ici, dans cette école, a enseigné un Invalide de la Guerre 14-18, Nicolas CLOSSART.

 

Nicolas CLOSSART est un instituteur peu banal. Blessé grièvement lors du conflit, il a désormais une jambe de bois.

 

Il enseigne successivement aux classes de 2ème, 5ème et 6ème primaires et donne aussi des cours d'anglais. C'est un personnage !

 

Quand sa blessure le fait souffrir, il pose, sans la détacher, sa jambe de bois dans la rainure du tableau.

 

Que dire d'une talonnade avec celle-ci, si d'aventure un élève la mérite ?

 

Pendant les années où il est maître, il vit avec sa femme dans un logement devant l'école. De ce long bâtiment, il ne subsiste que la chapelle.

 

En continuant par la rue du Couvent, puis la rue Chafnay, nous arrivons à l'Antenne administrative où se trouve le monument aux morts des deux guerres 1914-1918 et 1940-1945. Ici se termine notre visite des lieux de souvenir de 14-18.

 

 

Texte rédigé par Georgette CALIFICE de la Commission d'Histoire Locale.

Photos et mise en page du webmaster Alfred JAMIN de la Commission d'Histoire Locale.

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16 octobre 2018 2 16 /10 /octobre /2018 09:37
Jean ALLARD à son bureau de la Maison commune au n° 59 Rue Chafnay

 

1) L’enfance et la jeunesse de Jean ALLARD

 

Né à Angleur le dimanche 16 juin 1901 au n° 75 de la Rue Renory à 1h30 de "relevée"[1], Jean ALLARD est le fils du couple formé par Félicien ALLARD, garde champêtre qui terminera sa carrière à la police judiciaire, et par son épouse Joséphine MARÉE, sans profession (le père et la mère ont respectivement 30 et 27 ans). Il décédera à 67 ans et demi, des séquelles d'une longue et pénible maladie à l'aube du mercredi 8 janvier 1969, à l’ancien hôpital du VALDOR, au n° 145 de la Rue Basse-Wez à Liège (du nom de Pierre-Paul de VALDOR ou WALDOR, prêtre et chanoine de l’ex-collégiale Saint-Denis, promoteur de l’accueil des vieillards et des indigents à Liège au 17ème siècle).

 

L'enfant ALLARD a donc grandi dans ce coin d’Angleur qu’est le quartier de Kinkempois, voisin du Rivage-en-Pot, quartier poussé tout contre la Meuse par le nœud ferroviaire des Aguesses et par les ateliers de la Compagnie du Nord Belge[2] (future gare de formation et de triage de Kinkempois).

 

 En 1901, la Rue Renory est longue, pavée, presque rectiligne et bruyante sous les bandages métalliques des roues des tombereaux et des sabots ferrés des chevaux. Cette voie permet l’accès ou la sortie de Liège par les quartiers de Fétinne et des Aguesses en franchissant le pont-levis de l’écluse n° 1, dite écluse de (la Rue) Garde-Dieu, et l’étroite arcade de 5 m de large sous le vieux pont du chemin de fer (il date de 1842 et sera remplacé par l'actuel Pont du Val-Benoît en 1936). Vu la modernisation du quartier après la grande exposition internationale de 1905 (7.000.000 de visiteurs du J. 27 avril au L. 6 novembre), l'écluse n° 1 est devenue minuscule et à peine repérable (en 2018) sur la droite des bâtiments de la Haute École de la Province de Liège – Rennequin SUALEM (sur le Quai Michel GLOESENER), à hauteur de la confluence du Canal de l'Ourthe et de la Meuse.

 

Les gosses du quartier n’ont que quelques mètres à parcourir pour rejoindre la rive droite de la Meuse afin d’y appâter le poisson, d'y épier la nacelle du passeur d’eau se traînant vers les moulins de l’abbaye du Val-Benoît au bas de la Rue Côte d’Or à Sclessin, d'y compter les trains franchissant le vieux pont de pierre ou d'y apprécier l’état d’avancement des travaux du nouveau pont, en l’occurrence le Pont de Fragnée (lancé au travers de la Meuse pour l’exposition universelle de 1905)[3].

 

            En dehors de ces activités ludiques d’enfants, il n’existait à cette époque, à Rivage-en-Pot et Kinkempois, que peu d’endroits de distraction pour jeunes gens et adultes, excepté la "Maison Blanche" dite aussi la  "Maison HENIN". Les adultes fréquentaient cet établissement afin de s’y désaltérer, de s’y sustenter, de danser ou d’embarquer sur le bateau-mouche les emportant sur les eaux de la Meuse. Cet immeuble existe toujours à l’heure actuelle, à l'intersection des Rues Renory et du Chêne. Sa vocation a bien évidemment changé[4].

 

Les années vont défiler, la tourmente de la guerre 1914 – 1918 va déferler sur Liège. La famille ALLARD quittera le n° 75 de la Rue Renory pour s’installer dans un immeuble récent d’une voie à peine plus ancienne : le n° 5 de la Rue Louis VAPART (nom d’un ancien directeur des usines de la Vieille-Montagne), toujours dans le même quartier de son Angleur natal, morcelé par les voies ferrées et les tracés ancien et nouveau de la sauvage Ourthe ardennaise.

 

À 19 ans, Jean ALLARD reçoit son diplôme de fin d'humanités à l’athénée royal de la Rue des Clarisses à Liège et il entend poursuivre des études. À quelques dizaines de mètres de l’athénée, dans l’axe de la Rue des Clarisses, il y a la Place de l’Université (dédicacée Place du XX Août depuis le 30 décembre 1918, afin de commémorer le massacre du 20 août 1914) où est situé le siège central de l’université de Liège. Et pourquoi ne pas y aller voir ?

 

Lors de la rentrée académique 1920-1921, Jean ALLARD s’inscrit à la faculté des sciences de l’université, il est candidat ingénieur. On l’y retrouve également l’année suivante. Puis, il va changer de cap.

 

À la rentrée académique 1922-1923, il s’inscrit à la faculté de droit de la même  université, afin d’entamer le cursus des sciences administratives qu’il inaugure, évidemment, par une 1ère et une 2e candidature. Il accomplit son année de licence pendant l’année académique 1924-1925. Le voilà licencié en sciences administratives.

 

Mais, il en veut plus. C’est ainsi qu’il s’inscrit, toujours en faculté de droit, en tant que doctorant aux rentrées académiques 1925-1926, 1926-1927 et …. 1935-1936.[5]

 

[1] Relevée : autrefois, terme de procédure, initialement militaire,  correspond à l’après-midi. Selon le dictionnaire d'Émile LITTRÉ, on nommait "relevée" le temps où l’on se relevait pour aller à son travail, après la méridienne (c'est la sieste de midi).

[2] La raison sociale «Société Nationale des Chemins de fer Belges» n’apparaîtra qu’en 1926.

[3] In « Promenades à Angleur au temps de mon grand-père » d’Alphonse CUPPENS, 1994.

[4] Alphonse CUPPENS, ibidem.

[5] In "Jean ALLARD 1901 – 1969" de Diana BALOIAN, U.L.B. 1997 – 1998.

 

 

 

2) Vers la Maison communale de Jupille-sur-Meuse, en Chafnay

 

 

On vient de le lire, dans le courant du second semestre de l’année 1925, Jean ALLARD reçoit son diplôme de licencié en sciences administratives à l’université de Liège. Il va se mettre en quête d’un emploi. C’est d’une autre commune qu'Angleur qu’une offre va lui parvenir : c'est Jupille-sur-Meuse qui le sollicite.

 

 

Les lignes suivantes vont nous permettre de suivre Jean ALLARD au cours de son accession progressive vers la fonction de secrétaire communal à Jupille.

Ces lignes sont extraites d'un registre des procès-verbaux des réunions du Conseil communal de Jupille, registre couvrant la période s’étendant du 8 janvier 1921 au 10 avril 1937.

 

 

  • Lors de sa séance du mardi 17 novembre 1925, le Conseil communal de Jupille (désigné plus loin par les initiales CC) constate que l’absence pour maladie du secrétaire communal Laurent COLLINET est prolongée de 15 jours par son médecin traitant.

 

Depuis quelques semaines, Laurent COLLINET est certifié malade. Le CC émet le vœu que sa fonction soit assumée « ad intérim » par Léopold BROQUET, secrétaire de la Commission d'Assistance Publique, directeur faisant fonction aux travaux communaux  et ancien 1er commis au secrétariat communal. Quant à la rédaction des procès-verbaux du Conseil communal et du Collège du bourgmestre et échevins, elle a été confiée à l’échevin Antoine BEAUFORT.

 

La mission d’un secrétaire communal est primordiale dans une commune, tant au point de vue de l’ampleur de la tâche qu’au point de vue des exigences juridiques. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Léopold BROQUET et Antoine BEAUFORT se plaignent du travail supplémentaire qu’ils ont à accomplir et ils émettent le souhait d’en être déchargés.

 

C’est la raison pour laquelle, en ce mardi 17 novembre 1925, le CC nomme un 1er commis attaché au secrétariat communal. Ce 1er commis a pour nom Jean ALLARD,  il réside à Angleur et il entrera en fonction dans 2 semaines exactement : le mardi 1er décembre 1925.

 

 

  • Lors de sa séance du mardi 19 janvier 1926, le CC charge Jean ALLARD de remplir provisoirement le rôle de secrétaire communal.

 

 

  • En la séance du CC du jeudi 29 juillet 1926, Léopold BROQUET, directeur faisant fonction des travaux communaux, secrétaire de la Commission d'Assistance Publique et secrétaire communal « ad intérim », présente sa démission concernant la charge de secrétaire communal (il sera nommé directeur des travaux communaux le vendredi 3 septembre 1926 et commissaire de police le jeudi 1er février 1934). Par conséquent, le CC nomme Jean ALLARD en tant que secrétaire communal « ad intérim » par 6 voix contre 2. La nouvelle fonction de Jean ALLARD s’amorcera officiellement 3 jours plus tard, le 1er août 1926.

 

 

  • Le procès-verbal de la séance du CC du samedi 18 septembre 1926 est écrit, pour la première fois, de la main de Jean ALLARD. Notons qu’il faudra attendre celui de la séance du CC du samedi 3 août 1929 pour voir la délicieuse calligraphie rondelette de Jean ALLARD défiler régulièrement (sauf pendant la guerre) pendant près de 40 ans sur les pages jaunies des registres du Conseil communal. Son écriture est un régal pour les yeux du lecteur.

 

 

  • En sa séance du vendredi 27 mai 1927, le CC apprend que le sort du secrétaire communal malade, Laurent COLLINET, est malheureusement scellé. Ce dernier ne reprendra pas ses fonctions. En conséquence, le CC décide que le choix du futur secrétaire communal se fera parmi le Personnel actuellement en fonction.

 

 

  • En sa séance du vendredi 1er juillet 1927, le CC va choisir un nouveau secrétaire communal. Jean ALLARD est seul candidat, il sera élu par 6 voix contre 4. Il entrera en fonction dès que le gouverneur de la Province de Liège, le libéral Gaston GRÉGOIRE, aura approuvé l’élection « ad intérim » du jeudi 29 juillet 1926. Rappelons que Jean ALLARD avait été 1er commis attaché au secrétariat communal dès le mardi 1er décembre 1925 et était secrétaire communal « ad intérim » depuis le dimanche 1er août 1926 (dates d’entrée en fonction).

 

 

  • En séance du CC du mardi 27 mars 1928, Jean ALLARD peut prêter le serment de fidélité au roi, à la constitution et aux lois du peuple belge car le CC a reçu l’arrêté du samedi 19 mars 1927 de la députation permanente du gouvernement provincial (tutelle des communes). Ce dernier arrêté reconnaît la validité du scrutin par lequel Jean ALLARD a été nommé secrétaire communal « ad intérim » le jeudi 29 juillet 1926.

 

La députation permanente du gouvernement provincial, qui est la tutelle du pouvoir communal parce que représentante du pouvoir national à l’échelle de la province, confirme rétroactivement, par son arrêté du 19 mars 1927, la qualité/fonction de secrétaire communal à Jean ALLARD depuis le jeudi 29 juillet 1926 (entrée en fonction officielle : le 1er août 1926).

 

 

 

3) La politique et Jean ALLARD

 

 

 

                Au cours des mois qui l’ont vu confronté au long cheminement vers la fonction de secrétaire communal à Jupille, Jean ALLARD maintenait d’autres fers au feu.

 

            Il est toujours inscrit à l’université de Liège afin d’y accomplir son doctorat en sciences administratives. Mais aussi, il est présent à Bruxelles le D. 7 mars 1926, jour lors duquel se rassemble le Congrès des Étudiants Socialistes (se réclamant du Parti Ouvrier Belge, en abrégé le P.O.B.). Lors de ce congrès va surgir la rupture entre les étudiants partisans d’un socialisme réformiste (les étudiants de Charleroi, Liège et Gand) et ceux séduits par un socialisme plus immédiat, révolutionnaire et marxiste (les étudiants d’Anvers et Bruxelles). La Révolution bolchevique d’octobre 1917 à Moscou n’a pas encore 10 ans, l’enthousiasme de ses sympathisants est toujours très exubérant.

 

 Jean ALLARD est, à coup sûr, du premier groupe. Il est réformateur et se revendique socialiste ; il n’est pas révolutionnaire et se défend d’être communiste.

 

 C’est également lors de ce congrès du 7 mars 1926 que l’A.G.E.S. (Association Générale des Étudiants Socialistes) est fondée. Jean ALLARD en sera le président. Notre secrétaire communal sera également l’un des fondateurs de L’Éveil Universitaire (qui deviendra L’Étudiant Socialiste), le journal de l’A.G.E.S.[1]

 

                L’heure nous est donc offerte de découvrir un Jean ALLARD polyvalent, il est orateur, rédacteur d’articles de journaux et ardent militant-propagandiste du P.O.B (le Parti Socialiste Belge, dit P.S.B, n’apparaîtra qu'en 1945).

 

            Mais encore, Jean ALLARD a découvert l’âme sœur en la personne d’une jeune Française, elle s'appelle Hermina DUFFAU. Ils se marieront le mardi 13 septembre 1927 (il a 26 ans) et s’établiront au n° 40 de la Rue Marie-Louise NAVEAU à Jupille.

 

 La présence au foyer conjugal n’était pas le point fort du secrétaire communal, pensez donc : ses recherches de doctorant, sa fonction communale, l’étude des dossiers, les soirées de Conseil communal et/ou de Collège du bourgmestre et échevins, le militantisme politique, la rédaction d’articles de journaux, les congrès, la bibliothèque d’Angleur, les voyages en délégation à l’étranger, la laïcité active (franc-maçonnerie) et, j’allais l’oublier, les permanences du samedi matin à la Maison du Peuple en Mi-la-Ville.

 

Quelle épouse pourrait s’accommoder d’un mari qui, tel un émerillon frénétique, ne cesse de ne jamais être là pour être toujours ailleurs ! C'était écrit dans les astres, l’union se dilua et Hermina  ALLARD - DUFFAU quittera son époux et la Belgique au cours des années 1950.

 

[1] In « Jean ALLARD 1901 – 1969 », p. 5, de Diana BALOIAN, U.L.B., 1997 – 1998.

 

 

 

4) A l’aube du vendredi 10 mai 1940 : la guerre

 

 

            Au cours des semaines précédant le vendredi 10 mai 1940, Jean ALLARD est mobilisé au Service de Santé. Comme d’autres : magistrats, vétérinaires, commerçants divers, bourgmestres, médecins, prêtres, pharmaciens, etc…, afin de ne pas trop perturber l’organisation économique et la vie sociale des citoyens, il sera rapidement libéré de ses obligations militaires en raison de l’importance de sa fonction.

 

 A la déclaration de guerre, il va à Paris et y fait la rougeole[1]. Il rentre à Jupille vers le mardi 18 juin 1940 et, par la force des choses, doit se familiariser aux BEKANNTMACHUNGEN (annonces, déclarations) ou autres VERORDNUNGEN (décrets, ordonnances) prescrits par les Allemands. Il se met également au service de la Résistance. Il deviendra adjudant au S.R.A. (Service de Renseignement et d’Action), réseau « BAEVER BATON » (dont le siège est proche de la gare centrale à Bruxelles) jusqu’au 20 avril 1942. À partir de cette date, un autre Jupillois va partager son existence.

 

 Ce jour-là, le lundi 20 avril 1942, la Geheim Feld Polizei (G.F.P.) appréhende simultanément Jean ALLARD et Antoine ADRIAENS à la Maison communale de Jupille, au n° 59 de la Rue Chafnay, sur leur lieu de travail. Antoine ADRIAENS, né le 13 septembre 1907, est inspecteur de police faisant fonction, il est affecté au hameau des Bruyères où il réside Rue de Bois-de-Breux, entre le cimetière et la Rue Crahay (la Rue Jean ALLARD n’existe pas encore, seul un sentier file vers le creux de Fontenale par l’arrière du cimetière). Il est un des 3 plus anciens policiers de Jupille : les deux autres étant François DEJARDIN et Guillaume STAFFE. Antoine ADRIAENS finira sa carrière en tant que commissaire de police à Jupille, il décédera le 25 mars 1973.

 

La Geheim Feld Polizei les emmène vers son siège liégeois du Boulevard Ferdinand PIERCOT afin de les y soumettre aux interrogatoires habituels. Ils y sont arrêtés et vont être incarcérés et traités dignement à la Citadelle d’abord, où Jean ALLARD composera des mots croisés gastronomiques[2] (passion qui le tiendra tout au long de sa vie),  et plus tard à la prison Saint-Léonard jusqu’au mercredi 6 mai 1942, jour lors duquel ils sont libérés.

 

Après 2 mois de liberté retrouvée, notre secrétaire communal  et notre inspecteur de police sont à nouveau convoqués par la G.F.P. au Boulevard Ferdinand PIERCOT, le vendredi 3 juillet 1942. Pour Jean ALLARD, la situation se circonscrit en quelques mots : lors de leur 1ère arrestation (le 20 avril 1942), la G.F.P. n’a rien trouvé à leur reprocher ; par conséquent, ne pas se présenter le 3 juillet prochain, c’est, en quelque sorte, avouer/reconnaître[3] qu'il y a du nouveau et qu'on a quelque chose à cacher.  Ils choisiront donc de se rendre au Boulevard Ferdinand PIERCOT. Option ô combien malencontreuse et terriblement lourde de conséquences.

 

 La G.F.P. les accuse d’espionnage, les arrête à nouveau et les emprisonne au secret (pas de déclaration de présence, pas de visite, pas de colis ; pour l’extérieur, ils n’existent déjà plus)  jusqu’au S. 13 mars 1943. Où sont-ils ? Nul ne peut répondre ! C’est par d’anciens détenus de la prison Saint-Léonard à Liège que la rumeur se répand : ils y sont[4].

 

Le S. 13 mars 1943, les 2 Jupillois vont être déportés vers l’Allemagne. On les a vus aux Guillemins prendre le train vers Cologne. Ils ont le statut « Nacht und Nebel » (littéralement : Nuit et Brouillard, le sigle N.N. conférait aux captifs un statut anticipé de disparus, ils étaient déjà dans la nuit, ils étaient déjà dans le brouillard, ils n'existaient déjà plus ; personne ne pouvait savoir où ils étaient, donc pas de contact possible, ni colis réconfortant ; c'est le prolongement de la mise au secret comme à la prison Saint-Léonard). Vraiment, de très mauvais augure ! Ils vont connaître plusieurs lieux de détention et plusieurs camps de concentration, entre autres[5] :

 

  1. BOCHUM : (la prison), en Westphalie-Rhénanie du Nord, jusqu’au 22 mai 1943. Un mandat d’arrêt pour espionnage leur est décerné. Ce document fait d’eux des justiciables de la VOLKSGERICHT (tribunal populaire, où on ne connaît qu’un seul verdict : la condamnation à mort). Ils y vivront des moments de grande tension car les Alliés incendieront leurs bâtiments par bombardement en mai 1943[6]. Envoi vers Esterwegen.

 

  1. ESTERWEGEN : au camp n° 7 jusqu’en janvier 1944 (à l’origine, Zuchthaus : maison de correction, camp disciplinaire ; puis, Strafgefangenenlager : camp de prisonniers punis ; à considérer comme Konzentrationslager : camp de concentration même si, officiellement, il n’en portait pas le nom). Camp situé au sud de Papenburg en Basse-Saxe. Ils en rapporteront le Chant des Tourbières. Envoi vers Börgermoor.

 

  1. BÖRGERMOOR : camp n° 1 jusqu’en février 1944 (Konzentrationslager : camp de concentration ouvert en 1923, avant l’avènement d’Adolf  HITLER - Moor signifiant marais ou tourbière). Camp situé au sud de Papenburg en Basse-Saxe, à 15 km à l'ouest d’Esterwegen. Retour à Esterwegen

 

  1. ESTERWEGEN : (voir au point 2) jusqu’en mars 1944. Ensuite, direction Untermassfeld.

 

  1. UNTERMASSFELD : jusqu’à la fin août 1944 (Zuchthaus : maison de correction). Réclusion rigoureuse pendant 6 mois. Situé près d'Eisenach en Thuringe. Envoi vers Kaisheim.

 

  1. KAISHEIM : jusqu’au jeudi 15 février 1945. Ils sont là pour être jugés mais un ordre de mobilisation prive, séance tenante, la VOLKSGERICHT (Cour populaire) de fonctionnaires et de magistrats (l'armée allemande est à bout et l'Allemagne racle les fonds de tiroirs de sa réserve d’hommes mobilisables). D'où, pas de jugement/procédure et pas d'exécution. L’autorité allemande décerne le numéro U. 417 à Jean ALLARD et U. 418 à Antoine ADRIAENS. Situé au nord de la ville de Donauwörth en Bavière. Dernière déportation : Dachau.

 

  1. DACHAU : au Bloc 27/4, bataillon disciplinaire, jusqu’à la libération du dimanche 29 avril 1945 (Konzentrationslager : camp de concentration aménagé par les Nazis dès le mercredi 22 mars 1933, inauguré par Heinrich HIMMLER, le chef de la GESTAPO). C’est à Dachau que le franc-maçon, qu’était Jean ALLARD, fonde la loge « Liberté Chérie »[7]. Cet endroit sinistre est surpeuplé, c’est une des usines nazies à casser les corps et à broyer les esprits, 200 hommes y meurent chaque jour ; on épuise, on humilie, on fusille et on pend devant les autres détenus sur la place de l’appel, pour l'exemple. Dachau est un charnier dans lequel règne, entre autres, le typhus. Le samedi 14 avril 1945, Heinrich HIMMLER, le chef de la lugubre Police Secrète des Nazis (Geheim Staat Polizei : GESTAPO), ordonne l’évacuation du camp et précise qu’aucun prisonnier ne doit tomber aux mains des Alliés qui avancent et qui s'approchent, … on sait ce que cela signifie. Tite-Live (historien romain contemporain du Christ) l'insérait dans ses lignes : « Vae victis » (Malheur aux vaincus), et pourtant … la suite s’avérera plus heureuse ! Camp situé au nord de Munich, en Bavière.

 

Quelle odyssée ! Une descente du nord au sud de l’Allemagne qui s’apparente à une descente aux enfers[8]. En revenir tient du miracle !

 

Le dimanche 29 avril 1945, les troupes de la 42e Armée américaine[9], remontant du débarquement de Provence, investissent le camp de Dachau ; parmi les libérateurs, il se trouve Paul LEVY, correspondant de guerre, ex-détenu de Breendonck[10]. A Dachau, Paul LEVY retrouve, parmi les détenus, son « pote » Arthur HAULOT[11]. La libération, tant attendue, devient palpable. Les portes du camp, affichant la sinistre, l’indécente et outrancière imposture « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre), s’ouvrent pour les milliers de mourants, de torturés et d’affamés, tous vêtus du costume rayé. Beaucoup de ces ex-détenus mourront en dehors du camp, parfois parce qu’ils avaient été trop rapidement alimentés ou désaltérés par les alliés libérateurs.

 

À la Maison communale de la Rue Chafnay, une lourde impression de vide s'impose depuis l'arrestation/disparition du secrétaire et du policier. Le Personnel se sent orphelin. Néanmoins, il se trouve, dans la commune de Jupille-sur-Meuse, 4 jeunes enseignantes ayant toutes refusé de demander l’autorisation à l’U.T.M.I (Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels : groupe socio-professionnel/syndicat à la solde de l’envahisseur) afin d’occuper un poste dans les écoles. L’administration communale va les embaucher temporairement jusqu’à ce que le Grand Liège soit défini par l’autorité allemande. Dès lors, le quatuor sera dispersé en fonction des besoins dans les bureaux des anciennes communes constituant  la Ville de Liège agrandie. Ces 4 enseignantes ont pour nom : Mariette RASQUIN-FRÉDÉRICK, Alberte GILLOTAY, Marthe HERMESSE et Marie DEVILLE-JONLET.[12]

 

 Le secrétaire communal et l’inspecteur de police rentrent à Jupille 15 jours après leur libération, le lundi 14 mai 1945, vers 23h[13], soit 6 jours après la capitulation allemande du mardi 8 mai,  après 1.064 jours de détention. Leur séjour forcé, long et parsemé de vexations, privations ou autres indignités indicibles, affecte et affectera durablement et profondément leur santé. Ils affichent un ensemble de symptômes définis, de manière imprécise, par le concept de « pathologie concentrationnaire ». Ils étaient asservis, les Nazis ont tenté de les laminer, de les harasser, de les démolir, ils ont été usés et ils reviennent exténués, vidés mais libres et bardés de leurs convictions victorieuses.

 

De nombreuses distinctions honorifiques leur seront remises, entre autres : la Croix civique de 1ère classe, la Croix de guerre avec palmes, la Croix de prisonnier politique avec 6 étoiles, la Médaille de la résistance, la Médaille commémorative de la guerre 40 – 45 avec 2 éclairs entrecroisés, la Croix de chevalier de l’Ordre de Léopold et Jean ALLARD était fait officier de l’Ordre de Léopold.

 

 

[1] In « L’Hebdomadaire, Nouvelles de Bressoux et Jupille » du samedi 28 avril 1945. Jean ALLARD, signé Léo.

[2] Note d'Antoine ADRIAENS (1907-1973), datée du 11 mai 1966.

[3] Ibidem.

[4] Archives de Jean-Marie ADRIAENS (1928-1999), fils d’Antoine ADRIAENS (1907-1973).

[5] In « Le livre des camps » de Ludo VAN ECK, Editions KRITAK, 1979, p.314.

[6] Note d'Antoine ADRIAENS (1907-1973).

[7] In « Jean ALLARD 1901 – 1969 » p.13, de Diana BALOIAN, U.L.B, 1997 – 1998.

[8] Itinéraire de déportation établi par  Jean-Marie ADRIAENS (1928-1999), fils d’Antoine ADRIAENS (1907-1973).

[9] Source : Journal « Le Soir » du 9 juin 1998.

[10] Commune située entre Bruxelles et Anvers. À l'origine, fort de l'armée belge protégeant Anvers, transformé par les Nazis en camp d'accueil d'abord (Auffangslager) puis camp de concentration, le seul en Belgique.  

[11] In « Le Soir » du 9 juin 1998. Arthur HAULOT (1913-2005) né lui aussi à Angleur, auteur, journaliste à La Wallonie et au Peuple, fut commissaire général au tourisme pendant 33 ans.

[12] In "Jupille d'hier à aujourd'hui – 2003" p. 79 de Marthe HERMESSE (1920-2013) et Ida DETILLEUX.

[13] Source : Jean-Marie ADRIAENS (1928-1999), fils d’Antoine ADRIAENS (1907-1973), de Jupille.

 

 

 

5) Le retour à la vie civile

 

 

            Jean ALLARD est rentré des camps de la mort. Il va  devoir se reconstituer une santé, tout en n’ayant présente à l’esprit qu’une seule pensée : il est impatient de se retremper dans l’eau d’un bain qu’il affectionne tout particulièrement, celui du travail dans son bureau à la Maison communale au n° 59 de la Rue Chafnay.

 

 N’y a-t-il pas élu domicile dans cette Maison communale de laquelle il est le deus ex machina ; il en est l’âme et la cheville ouvrière. C’est lui qui dénoue le problème, c’est lui qui traduit et fait appliquer les injonctions du "Moniteur belge", c’est lui qui tranche, c’est lui qui règne, compétent, omniprésent, impérial. Sans discréditer aucun autre agent de l'administration communale ou aucun autre élu, la population considérait que le véritable bourg-maître était le secrétaire communal, tant était vaste et fécond le champ de ses compétences, tant était large et ramifié le cercle de ses relations.

 

            L’année 1947 voit Jean ALLARD promu au rang de sénateur coopté et, le jeudi 14 juillet 1949, il devient sénateur provincial et fait partie des commissions des Affaires culturelles, de l’Intérieur et des Naturalisations. Il siège également au conseil d’administration du Fonds des communes[1].

 

 Décidément, reste-t-il au secrétaire communal un peu de temps pour se distraire, pour lire, pour prendre un verre en compagnie de proches ou, …. tout simplement, pour dormir. Le secrétaire, devenu sénateur, était surchargé de travail. Il arrivait que les locaux communaux restent éclairés pendant la nuit. Eh oui, au Sénat à Bruxelles le jour, Jean ALLARD réservait la nuit à ses activités professionnelles pour ses administrés de Jupille-sur-Meuse.

 

            En prenant de l’âge, Jean ALLARD vit défaillir son sens de l’ouïe. Il s’était acheté un petit amplificateur qu’il plaçait dans la poche intérieure de son veston. Un câble lui montait le long du cou et se terminait par un écouteur qu’il insérait dans son oreille droite. La rumeur dit que lorsqu’une conversation l’ennuyait ou lorsqu’un interlocuteur voulait tenir la controverse contre toute logique et tout horaire, le secrétaire introduisait subrepticement la main vers son amplificateur afin de le débrancher et être ainsi libéré d’arguties qu’il jugeait futiles, superfétatoires et redondantes. Et, ce n’était pas la peine de hausser le ton, il n’aurait pas entendu davantage. Silence radio !

 

            Après quasi 40 ans de fonction[2] en tant que secrétaire communal (officiellement amorcée le 1er août 1926), Jean ALLARD prit sa retraite, il avait 65 ans. Les élus et le Personnel communal le fêtèrent le samedi 11 juin 1966 (5 jours avant son anniversaire) dans la salle des fêtes de l'École Moyenne de l'État (futur Athénée Yvon CORNET au 275 Rue de Bois-de-Breux, puis Athénée Royal Liège-Atlas/site de Jupille en 2010/2011). Il prit officiellement sa retraite le vendredi 1er juillet suivant. Le désormais ex-secrétaire communal avait servi sous 4 bourgmestres successifs : MM. Joseph PRÉVERS de 08/1926 à 04/1931, Henri WARNANT de 06/1931 à 06/1953, Joseph MANGON de 06/1953 à 12/1964 et Alfred (dit Freddy) PUTZEYS de 01/1965 à 06/1966.

 

Jean ALLARD s’en allait pour toujours. Beaucoup de Jupillois allaient déplorer le départ de cet homme si compétent, si influent et si sûr de lui. Néanmoins, et pour que ces feuilles ne soient pas uniquement une simple et facile « charta amicorum = une charte des amis», certains témoignages m’ont affirmé que Jean ALLARD était aussi parfois un homme cassant, raide et avare d’explications. C’était comme cela et pas autrement, à prendre ou à laisser. Il avait de sa fonction communale une idée claire et soutenue par un caractère déterminé et visionnaire.

 

Rétrospective : le lecteur peut à présent mesurer l'ampleur de la place occupée par Jean ALLARD à la Maison communale au 59 de la Rue Chafnay à Jupille. Selon le code de démocratie locale et de décentralisation, la fonction de secrétaire communal a subi une métamorphose en 2013 (Moniteur belge du 22 août 2013) : désormais on ne dit plus secrétaire communal mais directeur général. N'était-ce déjà pas le rôle que s'était attribué Jean ALLARD un demi-siècle plus tôt ?

 

Affaibli par une santé déficiente due à ses années de guerre, Jean ALLARD vivra encore 2 ans et demi. Il décédera à l'ancien hôpital du Valdor à l’aube du mercredi 8 janvier 1969, sans laisser de descendant. Il avait 67 ans et demi.

 

Son successeur à la fonction de secrétaire communal sera Armand MICHAUX.

 

 

En sa séance du mercredi 9 décembre 1970, le Conseil communal de Jupille-sur-Meuse décide d’accorder une dédicace à quelques nouvelles rues du lotissement Charlemagne au hameau des Bruyères.

 

Une de ces rues s’appellera désormais la Rue Jean ALLARD.

 

[1] In « Jean ALLARD 1901 – 1969 », p. 14, Diana BALOIAN, U.L.B. 1997 – 1998.

[2] Jean ALLARD n'a pas battu le "record" de son prédécesseur François DESTORDEUR qui exerça la fonction de secrétaire communal à Jupille-sur-Meuse pendant 48 ans, entre 1842 et 1890.

Le présent article à été rédigé par notre membre Octave Warzée, la photo en début d'article de Jean Allard est issue de la collection de notre présidente Ida Detilleux, la mise en page est comme par le passé le travail de notre webmaster Alfred Jamin.

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