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Ce Blog est destiné à tous les habitants de Jupille-sur-Meuse, qui souhaitent en savoir un peu plus sur leur commune.

Jean ALLARD, secrétaire communal à Jupille-sur-Meuse du 1er août 1926 au 30 juin 1966

Jean ALLARD à son bureau de la Maison commune au n° 59 Rue Chafnay

 

1) L’enfance et la jeunesse de Jean ALLARD

 

Né à Angleur le dimanche 16 juin 1901 au n° 75 de la Rue Renory à 1h30 de "relevée"[1], Jean ALLARD est le fils du couple formé par Félicien ALLARD, garde champêtre qui terminera sa carrière à la police judiciaire, et par son épouse Joséphine MARÉE, sans profession (le père et la mère ont respectivement 30 et 27 ans). Il décédera à 67 ans et demi, des séquelles d'une longue et pénible maladie à l'aube du mercredi 8 janvier 1969, à l’ancien hôpital du VALDOR, au n° 145 de la Rue Basse-Wez à Liège (du nom de Pierre-Paul de VALDOR ou WALDOR, prêtre et chanoine de l’ex-collégiale Saint-Denis, promoteur de l’accueil des vieillards et des indigents à Liège au 17ème siècle).

 

L'enfant ALLARD a donc grandi dans ce coin d’Angleur qu’est le quartier de Kinkempois, voisin du Rivage-en-Pot, quartier poussé tout contre la Meuse par le nœud ferroviaire des Aguesses et par les ateliers de la Compagnie du Nord Belge[2] (future gare de formation et de triage de Kinkempois).

 

 En 1901, la Rue Renory est longue, pavée, presque rectiligne et bruyante sous les bandages métalliques des roues des tombereaux et des sabots ferrés des chevaux. Cette voie permet l’accès ou la sortie de Liège par les quartiers de Fétinne et des Aguesses en franchissant le pont-levis de l’écluse n° 1, dite écluse de (la Rue) Garde-Dieu, et l’étroite arcade de 5 m de large sous le vieux pont du chemin de fer (il date de 1842 et sera remplacé par l'actuel Pont du Val-Benoît en 1936). Vu la modernisation du quartier après la grande exposition internationale de 1905 (7.000.000 de visiteurs du J. 27 avril au L. 6 novembre), l'écluse n° 1 est devenue minuscule et à peine repérable (en 2018) sur la droite des bâtiments de la Haute École de la Province de Liège – Rennequin SUALEM (sur le Quai Michel GLOESENER), à hauteur de la confluence du Canal de l'Ourthe et de la Meuse.

 

Les gosses du quartier n’ont que quelques mètres à parcourir pour rejoindre la rive droite de la Meuse afin d’y appâter le poisson, d'y épier la nacelle du passeur d’eau se traînant vers les moulins de l’abbaye du Val-Benoît au bas de la Rue Côte d’Or à Sclessin, d'y compter les trains franchissant le vieux pont de pierre ou d'y apprécier l’état d’avancement des travaux du nouveau pont, en l’occurrence le Pont de Fragnée (lancé au travers de la Meuse pour l’exposition universelle de 1905)[3].

 

            En dehors de ces activités ludiques d’enfants, il n’existait à cette époque, à Rivage-en-Pot et Kinkempois, que peu d’endroits de distraction pour jeunes gens et adultes, excepté la "Maison Blanche" dite aussi la  "Maison HENIN". Les adultes fréquentaient cet établissement afin de s’y désaltérer, de s’y sustenter, de danser ou d’embarquer sur le bateau-mouche les emportant sur les eaux de la Meuse. Cet immeuble existe toujours à l’heure actuelle, à l'intersection des Rues Renory et du Chêne. Sa vocation a bien évidemment changé[4].

 

Les années vont défiler, la tourmente de la guerre 1914 – 1918 va déferler sur Liège. La famille ALLARD quittera le n° 75 de la Rue Renory pour s’installer dans un immeuble récent d’une voie à peine plus ancienne : le n° 5 de la Rue Louis VAPART (nom d’un ancien directeur des usines de la Vieille-Montagne), toujours dans le même quartier de son Angleur natal, morcelé par les voies ferrées et les tracés ancien et nouveau de la sauvage Ourthe ardennaise.

 

À 19 ans, Jean ALLARD reçoit son diplôme de fin d'humanités à l’athénée royal de la Rue des Clarisses à Liège et il entend poursuivre des études. À quelques dizaines de mètres de l’athénée, dans l’axe de la Rue des Clarisses, il y a la Place de l’Université (dédicacée Place du XX Août depuis le 30 décembre 1918, afin de commémorer le massacre du 20 août 1914) où est situé le siège central de l’université de Liège. Et pourquoi ne pas y aller voir ?

 

Lors de la rentrée académique 1920-1921, Jean ALLARD s’inscrit à la faculté des sciences de l’université, il est candidat ingénieur. On l’y retrouve également l’année suivante. Puis, il va changer de cap.

 

À la rentrée académique 1922-1923, il s’inscrit à la faculté de droit de la même  université, afin d’entamer le cursus des sciences administratives qu’il inaugure, évidemment, par une 1ère et une 2e candidature. Il accomplit son année de licence pendant l’année académique 1924-1925. Le voilà licencié en sciences administratives.

 

Mais, il en veut plus. C’est ainsi qu’il s’inscrit, toujours en faculté de droit, en tant que doctorant aux rentrées académiques 1925-1926, 1926-1927 et …. 1935-1936.[5]

 

[1] Relevée : autrefois, terme de procédure, initialement militaire,  correspond à l’après-midi. Selon le dictionnaire d'Émile LITTRÉ, on nommait "relevée" le temps où l’on se relevait pour aller à son travail, après la méridienne (c'est la sieste de midi).

[2] La raison sociale «Société Nationale des Chemins de fer Belges» n’apparaîtra qu’en 1926.

[3] In « Promenades à Angleur au temps de mon grand-père » d’Alphonse CUPPENS, 1994.

[4] Alphonse CUPPENS, ibidem.

[5] In "Jean ALLARD 1901 – 1969" de Diana BALOIAN, U.L.B. 1997 – 1998.

 

 

 

2) Vers la Maison communale de Jupille-sur-Meuse, en Chafnay

 

 

On vient de le lire, dans le courant du second semestre de l’année 1925, Jean ALLARD reçoit son diplôme de licencié en sciences administratives à l’université de Liège. Il va se mettre en quête d’un emploi. C’est d’une autre commune qu'Angleur qu’une offre va lui parvenir : c'est Jupille-sur-Meuse qui le sollicite.

 

 

Les lignes suivantes vont nous permettre de suivre Jean ALLARD au cours de son accession progressive vers la fonction de secrétaire communal à Jupille.

Ces lignes sont extraites d'un registre des procès-verbaux des réunions du Conseil communal de Jupille, registre couvrant la période s’étendant du 8 janvier 1921 au 10 avril 1937.

 

 

  • Lors de sa séance du mardi 17 novembre 1925, le Conseil communal de Jupille (désigné plus loin par les initiales CC) constate que l’absence pour maladie du secrétaire communal Laurent COLLINET est prolongée de 15 jours par son médecin traitant.

 

Depuis quelques semaines, Laurent COLLINET est certifié malade. Le CC émet le vœu que sa fonction soit assumée « ad intérim » par Léopold BROQUET, secrétaire de la Commission d'Assistance Publique, directeur faisant fonction aux travaux communaux  et ancien 1er commis au secrétariat communal. Quant à la rédaction des procès-verbaux du Conseil communal et du Collège du bourgmestre et échevins, elle a été confiée à l’échevin Antoine BEAUFORT.

 

La mission d’un secrétaire communal est primordiale dans une commune, tant au point de vue de l’ampleur de la tâche qu’au point de vue des exigences juridiques. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Léopold BROQUET et Antoine BEAUFORT se plaignent du travail supplémentaire qu’ils ont à accomplir et ils émettent le souhait d’en être déchargés.

 

C’est la raison pour laquelle, en ce mardi 17 novembre 1925, le CC nomme un 1er commis attaché au secrétariat communal. Ce 1er commis a pour nom Jean ALLARD,  il réside à Angleur et il entrera en fonction dans 2 semaines exactement : le mardi 1er décembre 1925.

 

 

  • Lors de sa séance du mardi 19 janvier 1926, le CC charge Jean ALLARD de remplir provisoirement le rôle de secrétaire communal.

 

 

  • En la séance du CC du jeudi 29 juillet 1926, Léopold BROQUET, directeur faisant fonction des travaux communaux, secrétaire de la Commission d'Assistance Publique et secrétaire communal « ad intérim », présente sa démission concernant la charge de secrétaire communal (il sera nommé directeur des travaux communaux le vendredi 3 septembre 1926 et commissaire de police le jeudi 1er février 1934). Par conséquent, le CC nomme Jean ALLARD en tant que secrétaire communal « ad intérim » par 6 voix contre 2. La nouvelle fonction de Jean ALLARD s’amorcera officiellement 3 jours plus tard, le 1er août 1926.

 

 

  • Le procès-verbal de la séance du CC du samedi 18 septembre 1926 est écrit, pour la première fois, de la main de Jean ALLARD. Notons qu’il faudra attendre celui de la séance du CC du samedi 3 août 1929 pour voir la délicieuse calligraphie rondelette de Jean ALLARD défiler régulièrement (sauf pendant la guerre) pendant près de 40 ans sur les pages jaunies des registres du Conseil communal. Son écriture est un régal pour les yeux du lecteur.

 

 

  • En sa séance du vendredi 27 mai 1927, le CC apprend que le sort du secrétaire communal malade, Laurent COLLINET, est malheureusement scellé. Ce dernier ne reprendra pas ses fonctions. En conséquence, le CC décide que le choix du futur secrétaire communal se fera parmi le Personnel actuellement en fonction.

 

 

  • En sa séance du vendredi 1er juillet 1927, le CC va choisir un nouveau secrétaire communal. Jean ALLARD est seul candidat, il sera élu par 6 voix contre 4. Il entrera en fonction dès que le gouverneur de la Province de Liège, le libéral Gaston GRÉGOIRE, aura approuvé l’élection « ad intérim » du jeudi 29 juillet 1926. Rappelons que Jean ALLARD avait été 1er commis attaché au secrétariat communal dès le mardi 1er décembre 1925 et était secrétaire communal « ad intérim » depuis le dimanche 1er août 1926 (dates d’entrée en fonction).

 

 

  • En séance du CC du mardi 27 mars 1928, Jean ALLARD peut prêter le serment de fidélité au roi, à la constitution et aux lois du peuple belge car le CC a reçu l’arrêté du samedi 19 mars 1927 de la députation permanente du gouvernement provincial (tutelle des communes). Ce dernier arrêté reconnaît la validité du scrutin par lequel Jean ALLARD a été nommé secrétaire communal « ad intérim » le jeudi 29 juillet 1926.

 

La députation permanente du gouvernement provincial, qui est la tutelle du pouvoir communal parce que représentante du pouvoir national à l’échelle de la province, confirme rétroactivement, par son arrêté du 19 mars 1927, la qualité/fonction de secrétaire communal à Jean ALLARD depuis le jeudi 29 juillet 1926 (entrée en fonction officielle : le 1er août 1926).

 

 

 

3) La politique et Jean ALLARD

 

 

 

                Au cours des mois qui l’ont vu confronté au long cheminement vers la fonction de secrétaire communal à Jupille, Jean ALLARD maintenait d’autres fers au feu.

 

            Il est toujours inscrit à l’université de Liège afin d’y accomplir son doctorat en sciences administratives. Mais aussi, il est présent à Bruxelles le D. 7 mars 1926, jour lors duquel se rassemble le Congrès des Étudiants Socialistes (se réclamant du Parti Ouvrier Belge, en abrégé le P.O.B.). Lors de ce congrès va surgir la rupture entre les étudiants partisans d’un socialisme réformiste (les étudiants de Charleroi, Liège et Gand) et ceux séduits par un socialisme plus immédiat, révolutionnaire et marxiste (les étudiants d’Anvers et Bruxelles). La Révolution bolchevique d’octobre 1917 à Moscou n’a pas encore 10 ans, l’enthousiasme de ses sympathisants est toujours très exubérant.

 

 Jean ALLARD est, à coup sûr, du premier groupe. Il est réformateur et se revendique socialiste ; il n’est pas révolutionnaire et se défend d’être communiste.

 

 C’est également lors de ce congrès du 7 mars 1926 que l’A.G.E.S. (Association Générale des Étudiants Socialistes) est fondée. Jean ALLARD en sera le président. Notre secrétaire communal sera également l’un des fondateurs de L’Éveil Universitaire (qui deviendra L’Étudiant Socialiste), le journal de l’A.G.E.S.[1]

 

                L’heure nous est donc offerte de découvrir un Jean ALLARD polyvalent, il est orateur, rédacteur d’articles de journaux et ardent militant-propagandiste du P.O.B (le Parti Socialiste Belge, dit P.S.B, n’apparaîtra qu'en 1945).

 

            Mais encore, Jean ALLARD a découvert l’âme sœur en la personne d’une jeune Française, elle s'appelle Hermina DUFFAU. Ils se marieront le mardi 13 septembre 1927 (il a 26 ans) et s’établiront au n° 40 de la Rue Marie-Louise NAVEAU à Jupille.

 

 La présence au foyer conjugal n’était pas le point fort du secrétaire communal, pensez donc : ses recherches de doctorant, sa fonction communale, l’étude des dossiers, les soirées de Conseil communal et/ou de Collège du bourgmestre et échevins, le militantisme politique, la rédaction d’articles de journaux, les congrès, la bibliothèque d’Angleur, les voyages en délégation à l’étranger, la laïcité active (franc-maçonnerie) et, j’allais l’oublier, les permanences du samedi matin à la Maison du Peuple en Mi-la-Ville.

 

Quelle épouse pourrait s’accommoder d’un mari qui, tel un émerillon frénétique, ne cesse de ne jamais être là pour être toujours ailleurs ! C'était écrit dans les astres, l’union se dilua et Hermina  ALLARD - DUFFAU quittera son époux et la Belgique au cours des années 1950.

 

[1] In « Jean ALLARD 1901 – 1969 », p. 5, de Diana BALOIAN, U.L.B., 1997 – 1998.

 

 

 

4) A l’aube du vendredi 10 mai 1940 : la guerre

 

 

            Au cours des semaines précédant le vendredi 10 mai 1940, Jean ALLARD est mobilisé au Service de Santé. Comme d’autres : magistrats, vétérinaires, commerçants divers, bourgmestres, médecins, prêtres, pharmaciens, etc…, afin de ne pas trop perturber l’organisation économique et la vie sociale des citoyens, il sera rapidement libéré de ses obligations militaires en raison de l’importance de sa fonction.

 

 A la déclaration de guerre, il va à Paris et y fait la rougeole[1]. Il rentre à Jupille vers le mardi 18 juin 1940 et, par la force des choses, doit se familiariser aux BEKANNTMACHUNGEN (annonces, déclarations) ou autres VERORDNUNGEN (décrets, ordonnances) prescrits par les Allemands. Il se met également au service de la Résistance. Il deviendra adjudant au S.R.A. (Service de Renseignement et d’Action), réseau « BAEVER BATON » (dont le siège est proche de la gare centrale à Bruxelles) jusqu’au 20 avril 1942. À partir de cette date, un autre Jupillois va partager son existence.

 

 Ce jour-là, le lundi 20 avril 1942, la Geheim Feld Polizei (G.F.P.) appréhende simultanément Jean ALLARD et Antoine ADRIAENS à la Maison communale de Jupille, au n° 59 de la Rue Chafnay, sur leur lieu de travail. Antoine ADRIAENS, né le 13 septembre 1907, est inspecteur de police faisant fonction, il est affecté au hameau des Bruyères où il réside Rue de Bois-de-Breux, entre le cimetière et la Rue Crahay (la Rue Jean ALLARD n’existe pas encore, seul un sentier file vers le creux de Fontenale par l’arrière du cimetière). Il est un des 3 plus anciens policiers de Jupille : les deux autres étant François DEJARDIN et Guillaume STAFFE. Antoine ADRIAENS finira sa carrière en tant que commissaire de police à Jupille, il décédera le 25 mars 1973.

 

La Geheim Feld Polizei les emmène vers son siège liégeois du Boulevard Ferdinand PIERCOT afin de les y soumettre aux interrogatoires habituels. Ils y sont arrêtés et vont être incarcérés et traités dignement à la Citadelle d’abord, où Jean ALLARD composera des mots croisés gastronomiques[2] (passion qui le tiendra tout au long de sa vie),  et plus tard à la prison Saint-Léonard jusqu’au mercredi 6 mai 1942, jour lors duquel ils sont libérés.

 

Après 2 mois de liberté retrouvée, notre secrétaire communal  et notre inspecteur de police sont à nouveau convoqués par la G.F.P. au Boulevard Ferdinand PIERCOT, le vendredi 3 juillet 1942. Pour Jean ALLARD, la situation se circonscrit en quelques mots : lors de leur 1ère arrestation (le 20 avril 1942), la G.F.P. n’a rien trouvé à leur reprocher ; par conséquent, ne pas se présenter le 3 juillet prochain, c’est, en quelque sorte, avouer/reconnaître[3] qu'il y a du nouveau et qu'on a quelque chose à cacher.  Ils choisiront donc de se rendre au Boulevard Ferdinand PIERCOT. Option ô combien malencontreuse et terriblement lourde de conséquences.

 

 La G.F.P. les accuse d’espionnage, les arrête à nouveau et les emprisonne au secret (pas de déclaration de présence, pas de visite, pas de colis ; pour l’extérieur, ils n’existent déjà plus)  jusqu’au S. 13 mars 1943. Où sont-ils ? Nul ne peut répondre ! C’est par d’anciens détenus de la prison Saint-Léonard à Liège que la rumeur se répand : ils y sont[4].

 

Le S. 13 mars 1943, les 2 Jupillois vont être déportés vers l’Allemagne. On les a vus aux Guillemins prendre le train vers Cologne. Ils ont le statut « Nacht und Nebel » (littéralement : Nuit et Brouillard, le sigle N.N. conférait aux captifs un statut anticipé de disparus, ils étaient déjà dans la nuit, ils étaient déjà dans le brouillard, ils n'existaient déjà plus ; personne ne pouvait savoir où ils étaient, donc pas de contact possible, ni colis réconfortant ; c'est le prolongement de la mise au secret comme à la prison Saint-Léonard). Vraiment, de très mauvais augure ! Ils vont connaître plusieurs lieux de détention et plusieurs camps de concentration, entre autres[5] :

 

  1. BOCHUM : (la prison), en Westphalie-Rhénanie du Nord, jusqu’au 22 mai 1943. Un mandat d’arrêt pour espionnage leur est décerné. Ce document fait d’eux des justiciables de la VOLKSGERICHT (tribunal populaire, où on ne connaît qu’un seul verdict : la condamnation à mort). Ils y vivront des moments de grande tension car les Alliés incendieront leurs bâtiments par bombardement en mai 1943[6]. Envoi vers Esterwegen.

 

  1. ESTERWEGEN : au camp n° 7 jusqu’en janvier 1944 (à l’origine, Zuchthaus : maison de correction, camp disciplinaire ; puis, Strafgefangenenlager : camp de prisonniers punis ; à considérer comme Konzentrationslager : camp de concentration même si, officiellement, il n’en portait pas le nom). Camp situé au sud de Papenburg en Basse-Saxe. Ils en rapporteront le Chant des Tourbières. Envoi vers Börgermoor.

 

  1. BÖRGERMOOR : camp n° 1 jusqu’en février 1944 (Konzentrationslager : camp de concentration ouvert en 1923, avant l’avènement d’Adolf  HITLER - Moor signifiant marais ou tourbière). Camp situé au sud de Papenburg en Basse-Saxe, à 15 km à l'ouest d’Esterwegen. Retour à Esterwegen

 

  1. ESTERWEGEN : (voir au point 2) jusqu’en mars 1944. Ensuite, direction Untermassfeld.

 

  1. UNTERMASSFELD : jusqu’à la fin août 1944 (Zuchthaus : maison de correction). Réclusion rigoureuse pendant 6 mois. Situé près d'Eisenach en Thuringe. Envoi vers Kaisheim.

 

  1. KAISHEIM : jusqu’au jeudi 15 février 1945. Ils sont là pour être jugés mais un ordre de mobilisation prive, séance tenante, la VOLKSGERICHT (Cour populaire) de fonctionnaires et de magistrats (l'armée allemande est à bout et l'Allemagne racle les fonds de tiroirs de sa réserve d’hommes mobilisables). D'où, pas de jugement/procédure et pas d'exécution. L’autorité allemande décerne le numéro U. 417 à Jean ALLARD et U. 418 à Antoine ADRIAENS. Situé au nord de la ville de Donauwörth en Bavière. Dernière déportation : Dachau.

 

  1. DACHAU : au Bloc 27/4, bataillon disciplinaire, jusqu’à la libération du dimanche 29 avril 1945 (Konzentrationslager : camp de concentration aménagé par les Nazis dès le mercredi 22 mars 1933, inauguré par Heinrich HIMMLER, le chef de la GESTAPO). C’est à Dachau que le franc-maçon, qu’était Jean ALLARD, fonde la loge « Liberté Chérie »[7]. Cet endroit sinistre est surpeuplé, c’est une des usines nazies à casser les corps et à broyer les esprits, 200 hommes y meurent chaque jour ; on épuise, on humilie, on fusille et on pend devant les autres détenus sur la place de l’appel, pour l'exemple. Dachau est un charnier dans lequel règne, entre autres, le typhus. Le samedi 14 avril 1945, Heinrich HIMMLER, le chef de la lugubre Police Secrète des Nazis (Geheim Staat Polizei : GESTAPO), ordonne l’évacuation du camp et précise qu’aucun prisonnier ne doit tomber aux mains des Alliés qui avancent et qui s'approchent, … on sait ce que cela signifie. Tite-Live (historien romain contemporain du Christ) l'insérait dans ses lignes : « Vae victis » (Malheur aux vaincus), et pourtant … la suite s’avérera plus heureuse ! Camp situé au nord de Munich, en Bavière.

 

Quelle odyssée ! Une descente du nord au sud de l’Allemagne qui s’apparente à une descente aux enfers[8]. En revenir tient du miracle !

 

Le dimanche 29 avril 1945, les troupes de la 42e Armée américaine[9], remontant du débarquement de Provence, investissent le camp de Dachau ; parmi les libérateurs, il se trouve Paul LEVY, correspondant de guerre, ex-détenu de Breendonck[10]. A Dachau, Paul LEVY retrouve, parmi les détenus, son « pote » Arthur HAULOT[11]. La libération, tant attendue, devient palpable. Les portes du camp, affichant la sinistre, l’indécente et outrancière imposture « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre), s’ouvrent pour les milliers de mourants, de torturés et d’affamés, tous vêtus du costume rayé. Beaucoup de ces ex-détenus mourront en dehors du camp, parfois parce qu’ils avaient été trop rapidement alimentés ou désaltérés par les alliés libérateurs.

 

À la Maison communale de la Rue Chafnay, une lourde impression de vide s'impose depuis l'arrestation/disparition du secrétaire et du policier. Le Personnel se sent orphelin. Néanmoins, il se trouve, dans la commune de Jupille-sur-Meuse, 4 jeunes enseignantes ayant toutes refusé de demander l’autorisation à l’U.T.M.I (Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels : groupe socio-professionnel/syndicat à la solde de l’envahisseur) afin d’occuper un poste dans les écoles. L’administration communale va les embaucher temporairement jusqu’à ce que le Grand Liège soit défini par l’autorité allemande. Dès lors, le quatuor sera dispersé en fonction des besoins dans les bureaux des anciennes communes constituant  la Ville de Liège agrandie. Ces 4 enseignantes ont pour nom : Mariette RASQUIN-FRÉDÉRICK, Alberte GILLOTAY, Marthe HERMESSE et Marie DEVILLE-JONLET.[12]

 

 Le secrétaire communal et l’inspecteur de police rentrent à Jupille 15 jours après leur libération, le lundi 14 mai 1945, vers 23h[13], soit 6 jours après la capitulation allemande du mardi 8 mai,  après 1.064 jours de détention. Leur séjour forcé, long et parsemé de vexations, privations ou autres indignités indicibles, affecte et affectera durablement et profondément leur santé. Ils affichent un ensemble de symptômes définis, de manière imprécise, par le concept de « pathologie concentrationnaire ». Ils étaient asservis, les Nazis ont tenté de les laminer, de les harasser, de les démolir, ils ont été usés et ils reviennent exténués, vidés mais libres et bardés de leurs convictions victorieuses.

 

De nombreuses distinctions honorifiques leur seront remises, entre autres : la Croix civique de 1ère classe, la Croix de guerre avec palmes, la Croix de prisonnier politique avec 6 étoiles, la Médaille de la résistance, la Médaille commémorative de la guerre 40 – 45 avec 2 éclairs entrecroisés, la Croix de chevalier de l’Ordre de Léopold et Jean ALLARD était fait officier de l’Ordre de Léopold.

 

 

[1] In « L’Hebdomadaire, Nouvelles de Bressoux et Jupille » du samedi 28 avril 1945. Jean ALLARD, signé Léo.

[2] Note d'Antoine ADRIAENS (1907-1973), datée du 11 mai 1966.

[3] Ibidem.

[4] Archives de Jean-Marie ADRIAENS (1928-1999), fils d’Antoine ADRIAENS (1907-1973).

[5] In « Le livre des camps » de Ludo VAN ECK, Editions KRITAK, 1979, p.314.

[6] Note d'Antoine ADRIAENS (1907-1973).

[7] In « Jean ALLARD 1901 – 1969 » p.13, de Diana BALOIAN, U.L.B, 1997 – 1998.

[8] Itinéraire de déportation établi par  Jean-Marie ADRIAENS (1928-1999), fils d’Antoine ADRIAENS (1907-1973).

[9] Source : Journal « Le Soir » du 9 juin 1998.

[10] Commune située entre Bruxelles et Anvers. À l'origine, fort de l'armée belge protégeant Anvers, transformé par les Nazis en camp d'accueil d'abord (Auffangslager) puis camp de concentration, le seul en Belgique.  

[11] In « Le Soir » du 9 juin 1998. Arthur HAULOT (1913-2005) né lui aussi à Angleur, auteur, journaliste à La Wallonie et au Peuple, fut commissaire général au tourisme pendant 33 ans.

[12] In "Jupille d'hier à aujourd'hui – 2003" p. 79 de Marthe HERMESSE (1920-2013) et Ida DETILLEUX.

[13] Source : Jean-Marie ADRIAENS (1928-1999), fils d’Antoine ADRIAENS (1907-1973), de Jupille.

 

 

 

5) Le retour à la vie civile

 

 

            Jean ALLARD est rentré des camps de la mort. Il va  devoir se reconstituer une santé, tout en n’ayant présente à l’esprit qu’une seule pensée : il est impatient de se retremper dans l’eau d’un bain qu’il affectionne tout particulièrement, celui du travail dans son bureau à la Maison communale au n° 59 de la Rue Chafnay.

 

 N’y a-t-il pas élu domicile dans cette Maison communale de laquelle il est le deus ex machina ; il en est l’âme et la cheville ouvrière. C’est lui qui dénoue le problème, c’est lui qui traduit et fait appliquer les injonctions du "Moniteur belge", c’est lui qui tranche, c’est lui qui règne, compétent, omniprésent, impérial. Sans discréditer aucun autre agent de l'administration communale ou aucun autre élu, la population considérait que le véritable bourg-maître était le secrétaire communal, tant était vaste et fécond le champ de ses compétences, tant était large et ramifié le cercle de ses relations.

 

            L’année 1947 voit Jean ALLARD promu au rang de sénateur coopté et, le jeudi 14 juillet 1949, il devient sénateur provincial et fait partie des commissions des Affaires culturelles, de l’Intérieur et des Naturalisations. Il siège également au conseil d’administration du Fonds des communes[1].

 

 Décidément, reste-t-il au secrétaire communal un peu de temps pour se distraire, pour lire, pour prendre un verre en compagnie de proches ou, …. tout simplement, pour dormir. Le secrétaire, devenu sénateur, était surchargé de travail. Il arrivait que les locaux communaux restent éclairés pendant la nuit. Eh oui, au Sénat à Bruxelles le jour, Jean ALLARD réservait la nuit à ses activités professionnelles pour ses administrés de Jupille-sur-Meuse.

 

            En prenant de l’âge, Jean ALLARD vit défaillir son sens de l’ouïe. Il s’était acheté un petit amplificateur qu’il plaçait dans la poche intérieure de son veston. Un câble lui montait le long du cou et se terminait par un écouteur qu’il insérait dans son oreille droite. La rumeur dit que lorsqu’une conversation l’ennuyait ou lorsqu’un interlocuteur voulait tenir la controverse contre toute logique et tout horaire, le secrétaire introduisait subrepticement la main vers son amplificateur afin de le débrancher et être ainsi libéré d’arguties qu’il jugeait futiles, superfétatoires et redondantes. Et, ce n’était pas la peine de hausser le ton, il n’aurait pas entendu davantage. Silence radio !

 

            Après quasi 40 ans de fonction[2] en tant que secrétaire communal (officiellement amorcée le 1er août 1926), Jean ALLARD prit sa retraite, il avait 65 ans. Les élus et le Personnel communal le fêtèrent le samedi 11 juin 1966 (5 jours avant son anniversaire) dans la salle des fêtes de l'École Moyenne de l'État (futur Athénée Yvon CORNET au 275 Rue de Bois-de-Breux, puis Athénée Royal Liège-Atlas/site de Jupille en 2010/2011). Il prit officiellement sa retraite le vendredi 1er juillet suivant. Le désormais ex-secrétaire communal avait servi sous 4 bourgmestres successifs : MM. Joseph PRÉVERS de 08/1926 à 04/1931, Henri WARNANT de 06/1931 à 06/1953, Joseph MANGON de 06/1953 à 12/1964 et Alfred (dit Freddy) PUTZEYS de 01/1965 à 06/1966.

 

Jean ALLARD s’en allait pour toujours. Beaucoup de Jupillois allaient déplorer le départ de cet homme si compétent, si influent et si sûr de lui. Néanmoins, et pour que ces feuilles ne soient pas uniquement une simple et facile « charta amicorum = une charte des amis», certains témoignages m’ont affirmé que Jean ALLARD était aussi parfois un homme cassant, raide et avare d’explications. C’était comme cela et pas autrement, à prendre ou à laisser. Il avait de sa fonction communale une idée claire et soutenue par un caractère déterminé et visionnaire.

 

Rétrospective : le lecteur peut à présent mesurer l'ampleur de la place occupée par Jean ALLARD à la Maison communale au 59 de la Rue Chafnay à Jupille. Selon le code de démocratie locale et de décentralisation, la fonction de secrétaire communal a subi une métamorphose en 2013 (Moniteur belge du 22 août 2013) : désormais on ne dit plus secrétaire communal mais directeur général. N'était-ce déjà pas le rôle que s'était attribué Jean ALLARD un demi-siècle plus tôt ?

 

Affaibli par une santé déficiente due à ses années de guerre, Jean ALLARD vivra encore 2 ans et demi. Il décédera à l'ancien hôpital du Valdor à l’aube du mercredi 8 janvier 1969, sans laisser de descendant. Il avait 67 ans et demi.

 

Son successeur à la fonction de secrétaire communal sera Armand MICHAUX.

 

 

En sa séance du mercredi 9 décembre 1970, le Conseil communal de Jupille-sur-Meuse décide d’accorder une dédicace à quelques nouvelles rues du lotissement Charlemagne au hameau des Bruyères.

 

Une de ces rues s’appellera désormais la Rue Jean ALLARD.

 

[1] In « Jean ALLARD 1901 – 1969 », p. 14, Diana BALOIAN, U.L.B. 1997 – 1998.

[2] Jean ALLARD n'a pas battu le "record" de son prédécesseur François DESTORDEUR qui exerça la fonction de secrétaire communal à Jupille-sur-Meuse pendant 48 ans, entre 1842 et 1890.

Le présent article à été rédigé par notre membre Octave Warzée, la photo en début d'article de Jean Allard est issue de la collection de notre présidente Ida Detilleux, la mise en page est comme par le passé le travail de notre webmaster Alfred Jamin.

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